Typologie
paysagère de la vallée de la Loire
LA GRANDE VALLÉE ou VAL
D'ANJOU
De Saint-Patrice à la confluence de la Maine,
la Grande Vallée c'est la
vallée
d'Anjou, la Vallée par
excellence, qui peut
atteindre dix kilomètres de
largeur. Elle est bordée au sud de coteaux et d'abrupts de
calcaire tuffeau,
au nord de faibles reliefs cependant bien marqués par une
bordure
forestière quasi continue formant écran protecteur contre
les vents froids.
Elle est considérée comme l'archétype de la
vallée ligérienne. Elle le doit
sans doute à son ampleur
exceptionnelle,
à la
douceur de son climat, et à la
culture qui s'y est épanouie, surtout à partir des Plantagenêts. La
douceur
du climat y autorise une végétation inhabituelle à cette
latitude, et des
productions qui, depuis la Renaissance au moins, relèvent
du jardinage.
Elle permet l'existence d'un vignoble de grande qualité et
très étendu, dont
l'établissement est attesté dès le Haut Moyen-Âge. Ce
vignoble, avec ses
caves en roc et son habitat, constitue un trait de
civilisation
particulièrement original. Quant à la culture qui s'est
épanouie dans la
vallée, véritable démocratie de petits paysans égalitaires,
s'y manifeste
aujourd'hui encore par la grande homogénéité des
constructions, qui tient
à la nature des matériaux et à la dernière phase
d'enrichissement au XIX°
siècle. Elle s'ajoute aux témoignages plus anciens pour
constituer un
remarquable musée d'architecture populaire couvrant vallée,
coteaux et
versants troués de caves et d'habitats troglodytiques.
I. TOPOGRAPHIE ET
MORPHOLOGIE DES PAYSAGES DE LA GRANDE
VALLÉE
C'est dans la
Grande Vallée que la dissymétrie entre les deux rives du
fleuve est plus nette que partout ailleurs en Loire. Rive
gauche, ce sont des
reliefs de coteaux, parfois de falaises de tuffeau, et rive
droite, au-delà du
talus de la levée et des habitats qui la longent comme à la
parade,
l'immense plaine, la plus large de tout le Val.
"Chez ces
Andecavi, pères du nom d'Anjou, la Loire devient superbe ;
elle
y entre à raison de 300 mètres cubes par seconde en bonnes
eaux et
s'épanouit à sa rive gauche, devant des talus, parfois des
falaises de craie
tuffeau évidée en maisons et "communs" avec bourgs et
villages le long de
la route riveraine, souvent en rue continue, tant en haut
qu'au bas de
l'escarpement. De ce côté la colline contient le fleuve,
mais sur la rive
droite, c'est une plaine immense qui fuit, c'est une
varenne plus large que
la tourangelle, avec chanvrières, linières, vergers
opulents, pépiniètres
magnifiques, sous un climat humide et doux qui se ressent
déjà des
caresses de la mer, mais n'est pas encore déchiré par ses
brises" (O. Reclus,
cité par Brunet dir., 1992 : 143)
1. La rive droite : une
varenne encore plus large que la varenne
tourangelle.
Au bord du
fleuve et parallèlement à lui s'étend, comme dans les vals
orléanais, blésois et taurangeau, mais à une échelle
beaucoup plus vaste, la
bande des alluvions sablonneuses et limoneuses qui, sur les
points hauts,
portent l'habitat traditionnel. C'est le
"bombement
médian"
caractéristique.
La proximité de l'eau, pour le transport et l'abri contre
les
crues ordinaires, y explique l'intensité des systèmes de
culture et la densité
de l'habitat.
C’est dans cette Vallée qu'est apparue la première
manifestation en Europe
de la décision majeure
d’aménagement d'un système de levées parallèles
au fleuve. Vers 1150,
Henri II Plantagenêt, sans doute d’abord à la demande
de l’abbaye de Saint-Florent de Saumur, autorise
l’établissement d’une
levée de protection des terres cultivables sur quelques 45
kms, de Saint-
Martin-de-la-Place en
aval de Saumur à Saint-Patrice
près de Langeais.
L'ouvrage sera poursuivi sous les Valois, et achevé pour
l'essentiel sous
Louis XI. Il connaîtra une postérité exceptionnelle, et
vers l'amont et vers
l'aval, les levées prenant au cours des siècles suivants
l'immense
développement que l'on sait, depuis les portes
d’Angers jusque dans le val
nivernais, sur une hauteur moyenne de six mètres. Mais
entre temps leur
aspect et leur mission auront profondément changé :
"Elles
avaient été jusqu'alors des digues habitées , qui
s'élevaient,
s'amplifiaient et réparaient leurs brèches à la manière des
fourmilières.
Elles deviennent, dans les temps modernes, des ouvrages nus
et
uniformes, auxquels les règlements royaux prescrivent de
donner partout
des proportions identiques. Mais surtout, leur mission n'a
plus le même
caractère. Entreprises autrefois, sur l'initiative ou à
l'instigation des grands
seigneurs terriens, pour protéger et surtout pour étendre
leurs territoires
arables des plaines submersibles, elles ont pour rôle
principal de fixer le lit
mineur auprès des ports fluviaux et d'améliorer la
navigabilité de la Loire
en resserrant ses eaux moyennes dans un espace plus étroit.
Du règne de
Louis XI à l'avénement d'Henri IV les villes de la Loire
moyenne dirigent
effectivement, sous l'autorité nominale du roi, la
construction et
l'entretien des levées... En fait le nouveau réseau de
digues construit sous
la direction des villes est, de par son plan même,
incapable de contenir les
grandes crues." (Dion, 1961)
Au-delà des
levées et du bombement médian s'allonge la dépression
latérale, parcourue
par l'Authion.
Comme le Loiret, la Cisse et le Cher, il
ne rejoint le fleuve qu'après plusieurs dizaines de
kilomètres de parcours,
ici une soixantaine, depuis Bourgueil
jusqu'aux portes d'Angers. C'est le
lieu d'élection des zones humides, fréquemment inondables
et
traditionnellement délaissées par le peuplement. C'était le
domaine de
l'herbe, c'est aujourd'hui celui du maïs et de la
peupleraie. Les pâturages, si
précieux jusqu'à une date toute récente, furent fréquemment
appropriés et
clos de haies après la Révolution. Ainsi furent créés les
grands bocages des
vallées angevine tourangelle et blésoise. Ils présentent
les caractères des
bocages récents, géométriques et constitués de haies peu
épaisses, où l'on
trouve de nombreux arbres de haut jet ou taillés en
têtards.
2. La rive gauche : les
coteaux et les falaises de craie tuffeau
De Candes-Saint-Martin à Gennes les coteaux présentent une anthologie
des motifs de paysages sans doute unique en Loire. Parmi
ces motifs, les
plus caractéristiques, avec ceux du vignoble, sont ceux du
calcaire tuffeau
sous toutes ses formes, des plus naturelles jusqu'aux plus
architecturées,
des plus modestes jusqu'au plus monumentales.
Il est hors de doute que l'un des spectacles les plus
pittoresques et les plus
mémorables que puisse offrir la Loire entière est celui des
fronts bâtis du
Saumurois, qui alternent sur la rive gauche avec les
falaises de tuffeau,
brutes ou ciselées par les fameux habitats
troglodytiques. Candes,
Montsoreau, Turquant, Saumur, Chênehutte, Trèves, Cunault,
Gennes, les
Rosiers : "... ces
noms aux consonnaces médiévales se suivent en un
kaléidoscope de châteaux, manoirs, églises, chapelles,
donjons, portails et
autres échauguettes, petites folies vue-sur-la-Loire, tout
un monde las et
perclus de mousses ou de vignes mais qui par endroits
reçoit la lumière
dans un réceptacle magique où le tuffeau sali devient
rose-thé avec le teint
délicat de belles irrésistibles." (Legrand, 1994? : 7)
On a
remarqué que les villes majeures d'Orléans, Blois, Tours et
Saumur
sont des cités blanches et bleu ardoise, dont la trame
organisatrice est réglée
sur le fleuve. De même en ce qui concerne les bourgs, qui
reproduisent les
mêmes traits essentiels : mêmes couleurs, mêmes matériaux,
même ordre
lié au fleuve. Et de même aussi pour les plus petits
villages et les fermes les
plus isolées. Or ces traits sont tous rassemblés dans le
Saumurois, depuis
Saumur même jusqu'au plus modeste village, comme s'ils y
avaient tous
été élaborés puis en avaient été exportés, en même temps
que le matériau
lui-même, et au même titre que le vin et les autres
produits du terroir,
grâce au fleuve.
L'exemple le plus proche est celui de l'architecture
de la vallée de
l'Authion sur la rive
droite, où les lambeaux de basse terrasse, puis les
coteaux qui les bordent, sont le siège des plus anciens
villages, établis sur le
"la route de pied de versant", toujours hors d'eau, qui
permettait les
communications en toute saison. Mais les modèles
d'architecture et
d'urbanisme angevins se sont répandus en Loire bien au-delà
de cette
proche limite.
Quant aux abrupts de tuffeau où s'inscrivent tant
d'aménagements
rupestres et tant de cavités qu'elles défient l'inventaire,
leur importance,
leur variété, l'ancienneté des motifs qui s'y rencontrent,
et surtout leur état
de conservation et d'entretien les ont rendues exemplaires
de l'habitat
troglodytique et dignes d'un intérêt comparable à celui de
sites tels que
Matmata en Tunisie, Vardzia en Géorgie, voire Göreme en
Turquie.
3. Les paysages du
fleuve
Pour le fleuve,
qui a désormais reçu ses affluents les plus importants,
c'est
l'épanouissement.
Malgré l'importance de la
couverture végétale des îles
et des ouvrages de la navigation, il peut être contemplé
dans toute sa
largeur, qui atteint parfois 700 à 800m. Il y a là un
phénomène particulier à
la Loire angevine car, dans la Loire armoricaine, le
resserrement des
coteaux conduira à d'autres paysages. Le phénomène est
surtout sensible à
partir des points de vue élevés des coteaux, car ici comme
ailleurs la Loire
se cache souvent :
"Tantôt
présente dans tout le paysage, tantôt disparaissant à tel
point qu'il
est nécessaire de s'approcher sur la berge pour la
découvir, elle promène les
caprices de son cours d'une rive à l'autre avec beaucoup de
fantaisie."
(Cavalié, 1973)
Mais
c'est
surtout à partir du fleuve lui-même, quand on navigue, que
l'ampleur et la majesté de son cours sont le plus
saisissants. Il arrive
fréquemment en effet qu'à partir de la route de pied de
coteau, rive gauche,
il soit masqué par les enfrichements, et qu'on ait
l'impression de se
trouver sur une simple route de campagne. A partir de la
levée, rive droite,
les vues sont certes beaucoup plus ouvertes, mais
l'intensité de la
circulation y est des plus gênantes. A partir du fleuve
lui-même par contre,
l'expérience est unique à tous points de vue : le calme et
le silencieux
glissement de l'embarcation suscitent une attention et une
admiration que
n'épuisent jamais les horizons du fleuve, qu'ils soient
naturels, comme
ceux des îles, ou architecturés comme ceux des merveilleux
fronts bâtis des
deux rives. Kientz et Filatre l'ont souligné :
"Le plan général des
constructions suit le principe de la linéarité du bâti et
du parallèle au
fleuve, en suivant à la fois la forme générale des levées
et des tertres, et
surtout en offrant peu de prises aux courants dévastateurs
des crues
dépassant éventuellement le niveau des tertres".
(Kientz-Filatre, 1994 : 7)
Ce sont de
tels fronts bâtis qui font les horizons du fleuve le long
de la
levée, et ce n'est vraiment qu'à partir du fleuve lui-même
qu'ils peuvent
être appréhendés et détaillés avec le recul le plus juste.
Il y aurait beaucoup à dire sur l'incomparable valeur de la
navigation
ligérienne et sur le très grand intérêt qu'il y aurait, aux
yeux du paysagiste,
non seulement à en conserver la mémoire mais à en restaurer
la pratique
effective.
II. LES CARACTERES DES
PAYSAGES DE LA GRANDE VALLÉE
1. Authenticité et exemplarité des paysages angevins
"Dès le
XVII° siècle, le paysage ligérien est pratiquement
identifié par les
représentations : dans des vignettes anonymes de
Chantoceaux et de
Montsoreau se manifeste l'essentiel des composantes
paysagères de la
vallée de la Loire : fleuve aux bancs de sable jaune,
divisé en plusieurs bras
parsemés d'îles où poussent des arbres de petites
dimensions, de toute
évidence taillés en "têtards' et répartis régulièrement
dans des prairies ;
châteaux installés sur les rives et orientant leur façade
vers les eaux ;
coteaux couverts de vignes ; villages situés sur les
collines, à l'abri des
inondations et contemplant le spectacle de la vallée ;
gabares naviguant au
gré du vent. Cette identification du paysage de la Loire
paraît ainsi fixée
presqu'indéfiniment. (Luginbühl, 1992, 142)
C'est donc
en donc en Anjou que Luginbühl situe l'identification de
l'essentiel des composantes paysagères du Val de Loire dans
les
représentations qui en furent faites dès le XVII° siècle.
Et il précise un peu
plus loin : "Ce
paysage ligérien va cependant se préciser avec le temps, et
surtout acquérir à la fois son unité identitaire qui
traverse toutes les
représentations littéraires ou picturales et sa diversité,
selon les lieux."
(Luginbühl, 1992 : 142) Il est de fait que les représentations,
tant littéraires
que picturales, des paysages ligériens, ont toujours
repris, en les amplifiant,
les grands motifs qui avaient été célébrés en Anjou, dès
l'aube de la
Renaissance, par des artistes aussi différents que
Rabelais, Du Bellay et
Ronsard. On se réfèrera, pour plus amples détails sur ce
thème, à l'étude de
Philippe Lasne (1993) sur Le Fleuve humanisé et le fleuve
sauvage. Elle
complète de très heureuse façon celle de Sophie Bonin
(1996) sur La
place
du fleuve dans les paysages ligériens.
Mais ce qui
frappe le plus dans les paysages angevins, ce sont sans
doute
l'intégrité et l'authenticité si frappantes qu'ils ont su
conserver, surtout
quand on les découvre à partir du fleuve. C'est à partir de
là en effet que
l'on voit le mieux se manifester leur visage, pour ainsi
dire, entièrement
tourné vers l'eau comme pour s'y mirer.
2. Des paysages
entièrement urbanisés et architecturés
"Ici
l'ouverture sur le monde est exemplaire et a très tôt
engendré une
société rurale à forte coloration urbaine : cultures
commerciales, vignoble,
batellerie et, à l'occasion, séjour de la cour ou de
l'aristocratie, ont
grandement contribué à stimuler une société précocement
attachée à une
mise en valeur soignée des terroirs et à l'édification d'un
habitat d'une
qualité remarquable. Le village du Val de Loire, qui
s'accompagne souvent
d'un semis très serré de hameaux, occupe une place
significative dans le
paysage rural français. C'est une image très fortement
typée de
l'exploitation d'un milieu riche mais parfois hostile. Elle
figure parmi les
plus nettes et les moins altérées qui se puissent trouver
et présente, à ce
titre, une image très représentative ayant valeur
universelle." (Coyaud-
Mazas, 1998 : 37)
Ces
quelques lignes, extraites de la Proposition
d'inscription du Val de
Loire au patrimoine mondial de l'Unesco,
ne concernent pas seulement
la
Grande Vallée, mais le Val dans son ensemble. Cependant
elles trouvent
ici leur illustration la plus remarquable. C'est ici en
effet que la mise
en
valeur soignée des terroirs et l'édification d'un habitat d'une
qualité
remarquable composent des paysages où l'art de la
taille sous toutes ses
formes parle le plus haut dans l'aire culturelle
ligérienne.
L'Etude du
patrimoine bâti des Iles de la Loire
de Kientz et Filatre détaille
la richesse des motifs de l'architecture ligérienne la plus
vernaculaire,
entre Ancenis et Saumur, celle des îles :
"Avec le
fait d'être sur un fleuve important, lequel les a modelées,
les îles
ont attiré toute une population intéressée par ses terres
alluvionnaires
riches en limons, propices à certaines cultures et à
l'élevage. Ce qui a fixé à
l'intérieur des îles une population de petits exploitants
agricoles vivant
dans les borderies, de métayers logeant et travaillant dans
des fermes et
enfin de grands propriétaires vivant dans des vastes
demeures : les
maisons de maître" (Kientz-Filatre, 1994 : 5).
Que dire
alors des autres types d'architecture locale, celle des
châteaux,
manoirs, demeures diverses et autres abbayes et églises?
Pour ne parler que
de ces dernières, Fontevraud,
Saint-Maur-de-Glanfeuil, Saint-Florent-de-
Saumur, Cunault, Candes, Gennes, le Thoureil
sont ici réunis sur un
territoire d'une centaine de kilomètres carrés. Chacune de
ces fondations,
du IV° jusqu'au XI° siècle pour Fontevraud et Bourgueil,
pose un jalon
dans la longue durée des mises en valeur agricoles, du
repeuplement et de
cet "urbanisme de
campagnes", selon le
mot de Coyaud, qu'elles ont
largement participé à organiser. 25 églises et
villages, soit plus de
la moitié
des centres de la vallée d'Anjou relèvent de l'une ou
l'autre abbaye de cette
province. Et le fait le plus remarquable, du point de vue
des paysages, est
que cet urbanisme de campagnes se trouve enchâssé
dans un paysage
entièrement réglé par la taille et le cordeau,
comme l'architecture est elle
même
réglée par la taille et le fil à plomb. Le terroir apparaît
partout
soumis à ces règles d'un art consommé, fruit d'un labeur
constant, sachant
s'adapter aux inflexions et à la nature du terrain avec
soin et avec...
douceur : manifestation proprement culturelle de la douceur
angevine.
3. L'intérêt historique
des paysages de la Loire angevine.
Le Moyen-Âge a
fait du Val de Loire le lieu de confrontations, de guerres
et
d'enjeux de pouvoir. L'essor des Plantagenêts, ces comtes
d'Anjou qui
deviennent rois d'Angleterre, s'accompagne de conflits de
voisinage,
notamment avec la maison de Blois-Champagne. Alors, dès
avant l'an mil
et jusqu'à la reprise en mains par le roi de France, se
multiplient les
forteresses. De ces créations ou recompositions datent
quelques traits de la
région, notamment qu'elle fut longtemps une zone frontière
au coeur de la
France et que la Loire y devint alors un enjeu essentiel
entre Nord et Sud.
Les paysages en portent encore la trace, à
Saumur
et à Chinon
par exemple,
dont les sites perchés sur le roc ont un caractère
particulièrement
spectaculaire.
III. LA LISIBILITÉ DES
PAYSAGES DE LA GRANDE VALLÉE
1. Dans le lit endigué du fleuve
Différents
niveaux de lisibilité sont perceptibles selon qu'on navigue
le
fleuve ou qu'on en longe les rives par la route.
Rayée de la nomenclature des voies navigables, la Loire
fait cependant
partie du domaine public et "porte encore bateaux". Les
gabares, toues
cabanées et autres futreaux s'y rencontrent encore, pour ne
pas parler des
affûts flottants et des plates portant pêcheurs. La
navigation ligérienne
conserve un attrait quasi magique, car elle permet de
percevoir une
diversité de motifs d'intérêt peu communs. Intérêts
naturalistes :
ornithologique, botanique, ichtyologique, mammalogique et
entomologique ; et intérêts architecturaux avec tous les
ouvrages liés à la
batellerie et déployés le long du fleuve comme à la parade
: les duits, les
épis, les levées, les perrés, les cales, les quais, les
fronts bâtis de maisons de
mariniers ou de demeures et de monuments de la vie
communale. C'est
pourquoi elle mériterait d'être développée et amènerait
sans doute à une
amélioration de la lisibilité des motifs et modèles qui en
composent les
paysages. Cette lisibilité est surtout altérée par :
- les
dégradations dues aux sablières, qui ont pour effet de
végétaliser les
berges, les faisant disparaître et occultant les vues
horizontales
- la diminution des prairies inondables
- le développement de la populiculture et de la
maïciculture industrielles
- la destruction des prairies sèches des francs-bords
- la disparition des zones humides telles que les bras
morts, boires et autres
frayères (PNR L-A-T Annexe 2 : 2)
Les routes
qui longent le fleuve sont très attractives. Tantôt elles
le côtoient
au plus près tantôt elles s'en éloignent si une île
s'interpose entre elles et la
berge. Dans ces derniers cas, la lisibilité est touchée,
comme à partir du
fleuve, soit par les écrans verticaux des friches ou des
peupleraies, soit par
la banalisation due aux dégradations ci-dessus mentionnées.
Mais l'impact
est ici plus fort qu'à partir du fleuve, car sur celui-ci
il est plus facile de
guider l'embarcation vers des points de vue plus ou moins
rapprochés de
la rive et donc plus valorisants pour les très beaux
horizons naturels ou
bâtis qui la longent. Sans compter que la route est par
endroits coupée de la
Loire, notamment sur la rive gauche, ce qui pose un
problème de
continuité physique.
2. Dans le lit majeur
Le val d'Authion occidental s'impose comme l'un des
principaux pôles
horticoles français avec ses 640 exploitations produisant
arbres, légumes,
fleurs et semences. Dans le val oriental,
le bocage
de l'Authion et du Lane
s'est développé
sur des sites inondables par remontée des eaux de
l'Authion et de la nappe. Il est désormais victime du
déclin de l'élevage, de
l'abandon des terres et de la progression sensible de la
populiculture
surtout près des ruisseaux et des rivières. Le maillage des
haies, voire des
chemins est de plus en plus lâche et dispersé et aboutit à
la banalisation
bien connue du paysage. Il est par ailleurs exposé aux
risques liés à
l'aménagement de l'A85 et notamment aux remembrements
connexes.
IV. LA PROTECTION ET LA
MISE EN VALEUR DES PAYSAGES
La première
démarche visant à obtenir une politique cohérente de
protection et de gestion du patrimoine naturel ligérien a
été entreprise en
1993 par la DDAF de Maine-et-Loire, en partenariat avec la
DIREN, les
scientifiques et les associations, notamment celle
conduisant à la
préfiguration du PNR Loire-Anjou-Touraine (PNR, Annexe III,
Introduction). Depuis la création du PNR en 1996, la
protection de ce
patrimoine naturel figure en première ligne de son objet
propre et de sa
volonté de gestion concertée avec tous les acteurs
impliqués. A cet égard il
étend son champ de recherches et de contacts au-delà de ses
propres
frontières autour du principe d'une
connaissance partagée de la nature et
du maintien de pratiques et de techniques traditionnelles
d'entretien
permettant de garantir durablement l'intérêt biologique du
milieu et des
objectifs suivants :
- Introduire une
continuité des actions de sauvegarde et de mise en valeur
du fleuve au-delà des limites
départementales et régionales, notamment
au travers des commissions de travail, des contacts
inter-associatifs et interservices,
du partenariat avec le Conservatoire du patrimoine naturel
du
Centre pour acquisitions et conventions de gestion
-
Participer au
Plan général de gestion et d'entretien coordonné de
l'ensemble du lit de la Loire avec le Ministère de
l'Environnement, la DDE
et le Service de la Navigation
-
Coordonner sur son territoire la mise en place
d'un PROGRAMME LIFE
LOIRE au sein des zones de confluences répertoriées ou à
répertorier en
ZICO et l'inscription dans la future zone RAMSAR Loire
- Informer et
sensibiliser les responsables locaux sur la valeur
écologique
des sites prioritaires et sur les dispositions françaises
et européennes
touchant la sauvegarde de la nature en Loire, notamment les
mesures agrienvironnementales
- Exercer un rôle
de conseil et de suivi scientifique
grâce à son Comité
scientifique et technique
-
Inciter la
DDAF et les organismes agricoles à la mise en place d'un
Plan de
Développement Durable et des moyens d'enrayer la
banalisation de
l'espace par le maintien des pratiques agricoles et des
techniques
traditionnelles d'entretien, ainsi que d'une connaissance
partégée de la
nature pouvant garantir durablement l'intérêt biologique du
milieu
-
Promouvoir des acquisitions ou conventions de
gestion avec l'aide des
Départements et Conservatoires là où la déprise des
terrains et les intérêts
biologiques et/ou paysagers se conjuguent
-
Coordonner des opérations du type
agri-environnement avec les
organismes agricoles compétents
A travers
ces actions, le PNR apparaît comme une structure
exemplaire
d'aide au développement concerté et durable.
Ces actions comportent
toujours une dimension paysagère dans la mesure où elles
cherchent à
rétablir des modèles et des dynamiques palliant la
banalisation, la
dégradation, voire la disparition de milieux remarquables
par leur
diversité. Enfin, la notion de patrimoine, constitutive du
Parc (PNR
Charte, 64), ne s'arrête pas au seul patrimoine naturel
mais s'étend au
patrimoine culturel dans toutes ses dimensions ainsi qu'on
l'a détaillé
dans le chapitre précédent. Le PNR représente ainsi une
mobilisation
exemplaire des énergies et l'on peut se demander si ce
modèle ne mérite
pas d'être étendu à des secteurs
plus étendus de l'ensemble de l'espace
ligérien, notamment à ceux qui sont inclus dans sa zone
inondable.
1. La protection du patrimoine naturel du fleuve
Les travaux du Groupe Loire : ils présentent un exemple à poursuivre et
à
étendre.
Piloté par le Conservatoire des Rives de la Loire et la
DDAF du Maine-et-
Loire, le Groupe Loire réunit les représentants des milieux
agricoles,
forestiers, associatifs et institutionnels intéressés par
le milieu ligérien en
région Pays de Loire. L'objet de sa démarche est d'obtenir
un zonage de
l'espace endigué non bâti afin de proposer des modalités de
développement économique durable compatibles avec la
préservation de
l'espace ligérien dans ses caractéristiques originales.
(PNR L-A-T Charte :
77)
Les sites d'actions prioritaires du PNR sont :
- la séquence La Daguenière -
Saint-Mathurin
- la séquence
de l'île de Parnay au pont
de Montsoreau sur
lesquels sont
préconisés la coordination avec les Services de la
Navigation, l'acquisition
ou la convention sur certaines parcelles via la TDENS ou le
Conservatoire
des Sites, une OGAF-Environnement sur certaines prairies
inondables
menacées de disparition, le suivi scientifique des zones de
nidification et
d'hivernage, la limitation des enrochements (PNR L-A-T,
Annexe 2 : 2)
2. La protection des
bocages et la maîtrise de la populiculture
Les
recommandations valent pour le bocage de l'Authion
et du Lane mais
aussi pour le lit de la
Loire et pour
la vallée
du Thouet et de la Dive dans
laquelle le drainage ancien a été abandonné au profit de la
populiculture de
masse. Comme cette vallée est par ailleurs un espace de
loisirs
immédiatement proche de Saumur, on y assiste à
des remblaiements en
zone inondable. Il conviendra de les prohiber en même temps que
d'encourager
la plantation d'essences plus diversifiées, par exemple le
Frêne. S'agissant
de la vallée de la Loire elle-même, les sites les plus
exposés sont ceux du lit endigué
et de la rive gauche, de
Saumur au
Thoureil dont les
peupleraies déjà plantées ou en cours de plantation
nuisent particulièrement au dégagement des vues sur le
fleuve et à partir
de lui. L'impact de la populiculture sur ces sites étant
d'ordre biologique et
paysager, ils font partie des sites d'intérêt majeur et
d'intervention
prioritaire du PNR. A ce titre, ils motivent les actions
suivantes :
- restituer ou
gérer les
sites relictuels par le Conservatoire
-
entretenir les arbres du bocage par des mesures
d'encouragement
techniques et économiques
- maintenir voire
développer les espaces prairiaux avec l'aide des
mesures
d'incitation agri-environnementales conformément au Plan
gouvernemental sur la Loire
- limiter la
populiculture dans le lit endigué par rachat ou
passer
conventions de gestion des terres par le Conservatoire des
Rives de la
Loire, réglementer les boisements, etc...
(PNR L-A-T, 1994 : 129, 140 & Annexe 2 : 6)
3. Le soutien des
dynamiques de développement du vignoble
Le vignoble du Saumurois bénéficie de sa réputation et, comme tous
les
grands vignobles, possède les moyens d'assurer un entretien
soigné de ses
paysages. Le patrimoine architectural y est de grande
qualité mais reste
exposé aux risques de la disparition du petit patrimoine,
de l'extension de
l'urbanisation sous forme de bourgs à structure linéaire et
du mitage
périurbain. C'est pourquoi le Plan de référence du PNR
recommande la
prévention du mitage par tous documents d'urbanisme
utiles et
la
protection du petit patrimoine des clos et des murets de
vignes et place
un
périmètre de 5 kms de profondeur environ autour de Saumur
parmi les
sites d'intérêt majeur et d'intervention prioritaire (PNR
LAT, 1994 : 130)
4. La sauvegarde des
coteaux et la maîtrise du bâti.
Ce sont surtout
ceux qui relient le Thoureil à Candes
par Saumur,
Turquant et Montsoreau. Les sommets sont en vigne, les coteaux
sont
boisés et l'habitat en pierre de tuffeau en longe le pied
ainsi que les vallons
perpendiculaires au fleuve. Mais l'habitat troglodytique et
les caves y sont
beaucoup plus importants entre Saumur et Candes. Ces
coteaux d'une
quarantaine de kilomètres de longueur sont considérés comme
sites
d'intérêt majeur pour les trois critères de
la biologie, du bâti et du paysage,
cas unique sur
l'ensemble du PNR, et classés en sites d'intervention
prioritaire. A ce titre, les principes d'action qui les
concernent sont les
suivants :
-
intégrer des
mesures de protection dans les documents d'urbanisme,
notamment dans les schémas directeurs en cours
d'élaboration,
-
éviter toute
nouvelle activité induisant une modification du paysage
naturel dans les zones inondables,
-
engager des
études de mise en valeur paysagère pouvant déboucher sur
des directives paysagères (au sens de la loi paysage) ainsi
que des
procédures telles qu'une ZPPAUP autour de Candes et
Montsoreau et une
réserve naturelle sur l'île de Parnay
-
réfléchir sur
la mise en place d'une OGAF-Environnement sur la Loire
saumuroise (PNR L-A-T, 1994 : 143)
D'une façon
générale, le bâti angevin jouit d'une certaine stabilité.
Cela est
vrai pour le sud saumurois. Cela l'est moins dans d'autres
sites, par
exemple dans les îles. Kientz et Filatre notent les menaces
qui pèsent sur
ces ensembles directement liés au fleuve,
"menaces de désaffection,
de
méconnaissances et de transformations incongrues. Tout ce
patrimoine
peut disparaître très rapidement, son aspect peut continuer
à se défigurer,
et bientôt ne plus pouvoir rien évoquer de ce qui fut réel
et pertinent."
(Kientz-Filatre, 1994). La vigilance s'impose donc dans les sites
qui ne sont
pas (encore?) protégés par leur valeur touristique.
5. Les schémas
directeurs de Saumur et d'Angers.
La Grande Vallée a su
conserver des ensembles bâtis exceptionnels. Ils font
de la Loire et plus particulièrement du Saumurois un axe
touristique et
culturel majeur. Avec ses 47 monuments historiques,
Saumur
y occupe la
première place. Elle cherche cependant à
améliorer et son accueil
et son
accessibilité à la Loire, qu'elle reconnaît comme le site
paysager
exceptionnel à partir duquel la mise en scène de son
ordonnancement de
grand port de Loire est la plus réussie.
Quant à Angers,
elle occupe un site moins ligérien, en retrait par rapport
au fleuve auquel elle tournait initialement le dos :
"Le château,
autour duquel se développent les quartiers anciens de la
ville, domine la Maine en rive gauche depuis l'éperon sur
lequel il s'est
installé. Cette place forte ouverte vers le Nord-Ouest est
un carrefour
stratégique de routes desservant la Bretagne et la
Normandie, en ouvrant
le passage vers le sud de la France.
Les multitudes de directions desservies par cette
'ville-carrefour'
engendrent une forme urbaine massive et un développement
récent le
long des voies de communication en étoile. Le site
ardoisier de Trélazé
constitue néanmoins une enclave au coeur du tissu urbain.
Le sens dominant du développement urbain emprunte
l'orientation
générale de l'axe géologique armoricain : Sud-Est -
Nord-Ouest (...) Le Val
de Loire voit néanmoins grossir des bourgs d'origine rurale
plus nombreux
qu'ailleurs à être entrés dans la mouvance angevine :
Ponts-de-Cé, Saint-
Gemmes-sur-Loire, Mûrs Erigné, Juigné-sur-Loire..." (AUAT
2,1995 : 17)
Le Schéma
directeur del'agglomération reconnaît dans la Loire "un des
éléments fondateurs" de son armature paysagère et, par
rapport à
l'évolution de l'urbanisation, notamment résidentielle, à
la pression
foncière, surtout sur les coteaux, et même au développement
des
peupleraies, se préoccupe de :
- créer des
continuités vertes entre les zones urbaines et rurales
- maintenir des
coupures vertes dont la Loire fait partie pour
garantir les
espaces de loisirs,
- gérer la
structure des paysages ruraux par des OGAF-Environnement
comme celui des Basses Vallées angevines (AUAT 2, 1995 :
44-45)
- constituer un
réseau d'espaces forestiers
- aménager les rives des cours d'eau
pour les revaloriser et
générer une
nouvelle pratique des lieux telles que les cheminements
piétonniers.
(AUAT 2,
1995 : 32-33)
Il est remarquable de constater que nous retrouvons
ici la problématique
déjà rencontrée sur tout le cours du fleuve : les
continuités à maintenir ou,
très souvent, à rétablir. La qualité des horizons et partant du
cadre de vie,
s'exprime ici en termes de réseaux, de coupures et de
trames vertes : il
s'agit toujours, concernant la Loire elle-même, d'en
retrouver les chemins,
et ce faisant les paysages.
Quant au développement du
nautisme dans le cadre
de l'opération "Front
de Maine", on ne peut que souhaiter qu'il s'étende, à
terme, à la plaisance
sur la Loire elle-même, autre chemin, d'eau celui-ci, pour
la découverte de
ses horizons marins.
INDEX DES COMMUNES
CLASSEES PAR ORDRE
D'APPARITION
D'AMONT EN AVAL
Bourgueil
Saint-Nicolas-de-Bourgueil
Chouzé-sur-Loire
Varennes-sur-Loire
Montsoreau
Candes-Saint-Martin
Fontevraud
Turquant
Parnay
Allonnes
Souzay-Champigny
Dampierre-sur-Loire
Villebernier
Saumur
Longué
Saint-Martin-de-la-Place
Chênehutte
Trèves
Cunault
Saint-Clément-des-Levées
Gennes
Les Rosiers
Saint-Georges-des-Sept-Voies
Le Thoureil
La Ménitré
Saint-Rémy-la-Varenne
Saint-Mathurin-sur-Loire
Beaufort-en-Vallée
Mazé
Corné
Blaison-Gohier
La Bohalle
Andard
La Daguenière
Brain-sur-l'Authion
Trélaze
Saint-Saturnin-sur-Loire
Saint-Jean-des-Mauvrets
Juigné-sur-Loire
Les-Ponts-de-Cé
Angers
Sainte-Gemmes-sur-Loire
Mûrs-Erigné
Saint-Jean-de-la-Croix
Source : Alain Mazas,
Paysagiste DPLG - Typologie paysagère de la vallée de la
Loire - DIREN Centre -1999