Typologie paysagère de la vallée de la Loire
LES VALS BLÉSOIS ET DE CISSE
La géographie fait aller le Val blésois du confluent de l'Ardoux à ceux du
Cosson et du Beuvron, et le fait suivre du Val de Cisse jusqu'à Vouvray.
Du point de vue de leurs paysages, ces deux Vals méritent d'être considérés
dans la continuité l'un de l'autre. Ils présentent une unité qui les
distinguent du Val orléanais d'une part et des Varennes de Tours d'autre
part. Ensemble ils ne reçoivent que deux affluents, le
Cosson et le Beuvron,
la Cisse suivant un cours de 37 kms parallèle à la Loire avant de s'y jeter,
aux abords de Tours. C'est la modicité des apports de ces deux affluents qui
a motivé, à partir du XV° siècle, un endiguement resserré à 300m dans le
but de concentrer les hautes eaux du fleuve.

I. TOPOGRAPHIE ET MORPHOLOGIE DES PAYSAGES DES VALS
BLÉSOIS ET DE CISSE.
Distinguer le Val blésois du Val d'Orléans, sur la carte du contexte paysager,
c'est noter en premier lieu
le resserrement de la vallée, entre des coteaux
qui ne seront plus guère distants que de 2 kilomètres en moyenne. Le
phénomène est notable, surtout après le calibrage du Val orléanais et avant
celui de la Loire tourangelle des confluences de l'Indre, du Cher et de la
Vienne, qui élargiront la vallée jusqu'à 5 kilomètres. L'encaissement dans
les calcaires du Bassin parisien est de plus en plus sensible et l'image qui
vient spontanément à l'esprit est celle d'un couloir qui se prolongera
jusqu'au célèbre site de Rochecorbon, depuis l'embouchure de la Cisse
jusqu'aux portes de Tours.
Une deuxième particularité est due à l'apparition d'
îles de plus en plus
nombreuses dans le lit du fleuve,
particulièrement dans le Val de Cisse. La
cause en est sans doute due à un débit d'étiage très faible faute d'affluents
suffisamment importants (raison pour laquelle l'endiguement a été
resserré à 300m au XV° dans le but de déblayer le lit mouillé en y
concentrant les hautes eaux).
L'Ile-d'Or, à Amboise, est une des îles les plus
célèbres, non seulement de ce val mais de toute la Loire, étant une des plus
anciennes et ayant été marquée par la rencontre, en 503, de Clovis et
d'Alaric pour une tentative d'accord entre Francs et Wisigoths.
Aujourd'hui,
"Le lit du fleuve est parsemé d'îles et de grèves, sableuses pour certaines,
stables et densément boisées pour d'autres. L'apparition et la disparition
des chenaux, la variation des couleurs de l'eau selon l'éclairage et le ciel, et
de la végétation au fil des saisons lui confèrent un caractère sauvage,
indépendant des actions humaines. C'est le domaine des arbres échoués,
des vases craquelées, des grandes herbes ondulant sous le vent..." (IEA,
1988-89 : 14)
La troisième particularité à relever est l'importance des massifs forestiers
qui bordent la vallée au point de l'approcher, parfois jusqu'à la toucher.
Sur les plateaux de la rive droite, la Beauce s'efface progressivement : c'est
la Petite Beauce, qui, au-delà de Blois, laissera la place à
la forêt de Blois,
elle-même suivie par des paysages qui n'ont plus rien à voir avec la grande
plaine beauceronne. Sur la rive gauche, c'est la Sologne toute proche et
sous la forme fréquente de grands ensembles de plusieurs milliers
d'hectares d'un seul tenant :
le parc de Chambord, la forêt de Boulogne, la
forêt de Russy,
et ultimement la forêt d'Amboise.
Mais plus que par leur masse et leur proximité, ces forêts frappent surtout
par leur traitement et évoquent irrésistiblement la grande chasse,
la chasse
royale.
Le Val blésois, sur la route historique de la fameuse "Vallée des
Rois", est en effet le val qui abrite
le plus grand nombre de châteaux, et des
plus prestigieux,
d'Amboise à Gien : Chambord, Ménars, Blois, Chaumont
et Amboise rythment la descente du fleuve comme des étapes à partir
desquelles les incursions à l'intérieur du pays ont nom
Cheverny,
Beauregard, Troussay, Chenonceau,
pour ne citer que les plus importants.
On mesure l'importance et le rayonnement de ces châteaux si l'on observe
qu'à l'exception de l'extension de Blois sur la rive gauche de la Loire,
extension d'ailleurs relative par rapport à celle d'autres villes ligériennes,
l'ensemble de la plaine inondable du Val blésois est peu occupée par le bâti.
Cela a permis aux centres artistiques et historiques entourant les châteaux
de conserver leur silhouette et de se manifester très concrètement comme
des étapes et des ports quasi naturels et obligés.
II. LES CARACTERES DES PAYSAGES DES VALS BLÉSOIS ET DE CISSE.
1. Le caractère et l'intérêt artistiques du Val blésois
Davantage encore que l'intérêt historique, c'est l'intérêt artistique qui
motive le plus la visite du Blésois et, en conséquence, le soin à apporter à
l'écrin paysager de ses grands monuments.
La plupart des grands châteaux et manoirs de Loire sont de très vieilles
créations. Forteresses primitives adaptées siècle après siècle à quelque
progrès de la défense, ils se sont généralement maintenus sur les mêmes
sites, étendus et transformés par des terrassements et des remparts où le
coteau lui-même revêt parfois une cuirasse maçonnée. Au XV° siècle, la fin
des guerres ouvre des perspectives à une nouvelle existence : c'est
désormais le temps des "Châteaux de la Loire", un des traits culturels
majeurs du paysage ligérien, à valeur culturelle propre et d'intérêt
exemplaire. La vogue de ces châteaux se maintiendra jusqu'au XVIII° siècle,
avec Ménars et ses jardins. Mais le siècle d'or se sera étendu du milieu du
XV° siècle à celui du XVI° siècle, voire un peu au-delà. Il aura été le temps
des innovations majeures dans l'architecture et la prise en compte de la
nature dans la composition du château et de son environnement. Les
inventions géniales de l'Italie du Quattrocento sont reprises et réinventées
dans des oeuvres qui seront à leur tour source d'inspiration pour la France
puis pour l'Europe entière. En cela, les châteaux de la Loire forment une
collection unique et jouissent d'une réputation universelle amplement
méritée.
Tous ces édifices sont liés à la Loire ou à quelque affluent offrant un miroir
et une mise en scène à l'architecture. La Renaissance française adopte le
motif tellement vivant de l'eau en lui donnant la première place dans
l'insertion paysagère de ses monuments. On passe ainsi d'une présence
fonctionnelle purement défensive, l'eau des douves ou des marécages
défendant les villes, à une présence décorative : c'est une étape majeure et
définitive dans la vision du paysage.
A cette première relation entre château et eau, il faut ajouter, comme on l'a
vu,
la relation du monument à la forêt ou au parc. L'architecture se situe
désormais entre l'eau et l'arbre.
Enfin, troisième relation :
dans l'intervalle qui s'étend entre l'architecture,
l'eau et la forêt s'installe le jardin,
qui se présente sous la forme de salons
de plein air et d'espaces de vie et d'ostentation pour la glorification du
maître et le plaisir de ses invités.
Ainsi se trouve codifiée l'esthétique nouvelle du jardin français, qui
synthétise dans un même domaine la séquence inventée par les paysans
ligériens depuis des siècles : entre les
deux saltus fluvial et forestier, la
demeure,
domus, et le jardin, hortus, séparés des saltus par l'ager des
cultures
. Les terrasses de Blois et d'Amboise, qui dominent d'immenses
horizons, ouvrent de plus sur les vues anciennement dégagées pour les
guetteurs de la forteresse, et désormais valorisées par le spectacle d'une
campagne prospère dans la paix retrouvée.
2. Le caractère et l'intérêt historiques du Val blésois
Il n'y a pas lieu de développer longuement les souvenirs historiques liés à
ces édifices : ils intéressent et la France et l'Europe occidentale, du Moyen-Âge
à la Renaissance. Le Val de Loire a été, par son importance
commerciale et culturelle, durant plus de cinq siècles, un des berceaux et un
des axes de l'Humanisme et de la Modernité. Il est resté depuis le XVII°
siècle un lieu de vie et de création continues, quoique de moindre ampleur
qu'au temps où il connut drames et splendeurs. De la modestie des moyens
qui furent désormais les siens vient sans doute l'exceptionnelle
conservation de son héritage, qui n'a guère subi de modernisations. De la
sorte, il nous est advenu réparable et ses restaurations sont aujourd'hui des
réalisations scientifiquement fondées.
De ces monuments, les pouvoirs publics se préoccupent depuis un
siècle et demi. De leurs parcs et jardins, le soin est plus récent et se poursuit.
L'exemple bien connu de Villandry, où un jardin Renaissance a été restitué
au début de ce siècle, est le plus grandiose.
Les dispositions existent d'ailleurs pour qu'une nouvelle étape soit
prochainement franchie et que les perspectives paysagères où le château
s'inscrit lui soient bientôt rendues.
2. Le caractère et l'intérêt pittoresques du Val blésois
Dans le Blésois, pittoresque est synonyme de monumental
. Ce caractère est
sensible à travers les témoignages les plus divers.
Il suffit de considérer les aquarelles qui lui ont été consacrées par
William
Turner
au cours de son célèbre voyage de Nantes à Orléans, en 1826. Sur les
huit aquarelles et vues gravées du Val entre Blois et Amboise figurant au
catalogue de l'exposition qui lui a été consacrée en 1998, on constate que les
paysages représentés sont tous contemplés en contre-plongée, comme pour
en dramatiser le caractère monumental. Ce n'est que très rarement le cas
sur les autres oeuvres présentées au catalogue. Amboise, par exemple, est
représenté à plusieurs reprises comme situé au sommet d'une imposante
colline, elle-même doublée d'une muraille non moins imposante, qui
rappelle quelque peu celle de Saumur. De même pour Blois, dont la colline
semble dominer la ville de très haut. Quant au château des Valois, qui
figure sur une vue gravée pour l'
Annual Tour, il prend une allure
véritablement fabuleuse et quasi irréelle.
Ce qu'il y a d'intéressant chez Turner, c'est que le caractère monumental
des motifs de l'architecture est transposé aux motifs de nature sur lesquels
ils sont greffés. Motifs des coteaux de Loire d'une part, mais aussi motif de
la Loire elle-même, qui permet aux paysages représentés de se refléter et
donc de se redoubler dans son miroir. Il n'y a là ni supercherie ni
exagération d'artiste : le caractère monumental des grands motifs naturels
du Val blésois ont été relevés par d'autres. Parmi lesquels, caution
suprême,
Victor Hugo, qui, on le sait, n'était pas un inconditionnel de la
Loire comme il l'était du Rhin. Mais son romantisme rejoignait totalement
celui de Turner :
"... ce que la Loire a de plus pittoresque et de plus grandiose, c'est cette
immense muraille calcaire, mêlée de grès, de pierre meulière et d'argile à
potier, qui borde et encaisse sa rive droite, et qui se développe au regard de
Blois à Tours avec une variété et une gaieté inexprimables, tantôt roche
sauvage, tantôt jardin anglais, couverte d'arbres et de fleurs, couronnée de
ceps qui mûrissent et de cheminées qui fument, trouée comme une
éponge, habitée comme une fourmilière." (Hugo, 1910 : 21))
Et La Fontaine, décrivant ainsi la vallée qu'il découvre depuis la terrasse du
château d'Amboise :
Ce qu'il y a de beau, c'est la vue : elle est grande, majestueuse, d'une
étendue immense ; l'oeil ne trouve rien qui l'arrête ; point d'objet qui ne
l'occupe le plus agréablement du monde. On s'imagine découvrir Tours,
bien qu'il soit à quinze ou vingt lieues ; du reste, on a en aspect la côte la
plus riante et la mieux diversifiée que j'aie encore vue, et au pied une
prairie qu'arrose la Loire, car cette rivière passe à Amboise. (La Fontaine,
1958 : 46)
Le caractère monumental du Val ne se limite donc ni à ses châteaux ni à ses
coteaux et à leurs abrupts mais s'étend à la Loire elle-même et à sa plaine.
Une reconnaissance des paysages de l'agglomération blésoise effectuée par
le paysagiste Claude Chazelle dans son étude sur
L'Agglomération blésoise
et ses paysages
propose dès la page de couverture deux photographies
mettant en valeur cette monumentalité : l'une représente la Loire ellemême
à l'étiage, avec ses immenses grèves de sable pur qui semblent se
prolonger à l'infini; l'autre représente une immense plaine céréalière, prise
il est vrai sur le plateau de la petite Beauce,mais dont on peut trouver
l'équivalent trait pour trait dans la plaine inondable de la rive gauche.
Ce caractère monumental est également perceptible, dans certains cas, sur
les plateaux qui dominent le Val, lorsqu'ils n'ont pas été envahis par
l'urbanisation en doigt de gant qui sévit généralement au mépris de la
qualité paysagère. Nous l'avons relevé nous-même dans notre étude sur
Les abords de Chambord considéré sous l'angle de ses paysages, sur le
plateau qui unit le domaine de Chambord à Saint-Dyé, son port, auquel le
relie toute son histoire. Une étude cartographique comparative montre que
depuis le XVIII° siècle cette terrasse était couverte d'un immense vignoble
de quelque 3000 hectares d'un seul tenant qui faisait de la terrasse un
immense jardin entre la Loire et le domaine royal et qui monumentalisait
de ce fait le mur d'enceinte de trente kilomètres entourant un domaine
dans lequel tiendrait Paris intra-muros. Il serait possible de retrouver
aujourd'hui ce caractère si l'on venait à bout des enfrichements qui
occupent une partie de ce plateau, et mieux encore, cela va de soi, si on les
remplaçait par une culture reprenant l'idée de l'immense jardin premier,
un vignoble par exemple, et traité à l'ancienne.

III. LA LISIBILITÉ DES PAYSAGES DES VALS BLÉSOIS ET DE CISSE.
1. La préservation de la monumentalité de la plaine
On a vu à propos de l'Orléanais que les études paysagères de la Loire
moyenne ont été sévères dans leur constat de banalisation. C'est surtout
l'explosion du bâti au cours des dernières décennies qui est incriminée,
mais c'est aussi la banalisation provoquée par la révolution agricole,
notamment avec les peupleraies, ainsi que les dégradations occasionnées
par les nombreuses gravières (IEA, 1988-89 : 10) . On peut ajouter à ce
constat les effets induits par les abandons sous toutes leurs formes :
appropriations et décharges sauvages, etc...
Ce constat doit être relativisé en ce qui concerne le Blésois. Même si l'on
considère les développements et les dynamiques de l'urbanisation sur Blois
rive gauche, on notera avec Claude Chazelle que :
"La vallée de la Loire est relativement protégée de l'urbanisation par la
zone inondable. De ce fait, la lisibilité du domaine de l'eau est maintenue
sur tout l'espace de la vallée. L'agriculture, parce qu'elle travaille la surface
pelliculaire de la vallée, contribue à la lisibilité de cet espace majeu
r.
(Chazelle, 1997 : 68)
On retrouve ici le rôle d'une agriculture extensive dans la monumentalité
et la lisibilité de la plaine. Reste que, comme poursuit l'étude
"la
multiplication des "champs de peupliers" risque, à terme, de constituer des
obstacles aussi infranchissables que l'urbanisation ou les remblais routiers"
(Chazelle, 1997 : 68)
Reste donc qu'il importe d'éviter absolument le
développement de l'urbanisation le long de la RD 956, de part et d'autre du
Cosson, et dans la plaine elle-même, ceci valant d'ailleurs aussi bien pour
les sites desservis par le nouveau pont François Mitterrand. Ce qui motive
d'ailleurs l'actuelle révision du Schéma directeur de la ville, dont l'étude
précitée constitue en quelque sorte le volet paysager.
2. La mise en scène de la monumentalité du fleuve
Nombre d'observateurs ont noté que les digues qui bordent la Loire sont
très généralement bordées d'une végétation dense qui en empêche la
perception. On retrouve à ce propos la plainte bien connue, et qui est vraie
sur tout le cours de la Loire :
"La Loire? Mais on ne la voit jamais, elle se
cache"
. Lorsqu'elle est montagnarde, ce sont les gorges qui la cachent en
effet, lorsqu'elle est libre comme en Bourbonnais, ce sont les verdiaux,
parfois c'est la largeur de son domaine, parfois, plus prosaïquement,
comme dans la nébuleuse orléanaise, l'urbanisation désordonnée.
En Blésois, l'occasion serait à saisir de donner véritablement à voir la Loire
à partir des levées. Il s'agirait d'
ouvrir de larges "fenêtres", dans les
enfriche-ments qui longent les levées,
en amont et en aval de Blois. Etant
donnée la relative étroitesse du Val, ces ouvertures permettraient
d'
associer le fleuve et les coteaux à la vision de la plaine elle-même, ce qui
est rare sur la Loire moyenne car le calibrage de la vallée excède souvent la
capacité du champ visuel habituel. Les paysages blésois sont de ceux qui
font exception. L'exploitation de cette exception contribuerait à accentuer le
caractère monumental de la vallée en associant le lit mineur, le lit majeur
et les coteaux dans les mêmes vues.
IV. LA PROTECTION ET LA MISE EN VALEUR DES PAYSAGES DES
VALS BLÉSOIS ET DE CISSE.
1. La mise en continuité des espaces et des intervenants sur l'espace
Indépendamment des protections réglementaires fortes, les actions de mise
en valeur des paysages du fleuve sont de deux types :
- les unes, conscientes de l'intérêt des grandes réussites artistiques de la
vallée s'efforcent de les mettre en scène au sein de leurs horizons naturels
- les autres, conscientes de l'intérêt des ensembles naturels dont la
dynamique est dépendante de celle du fleuve, s'efforcent de les mettre en
valeur pour elles-mêmes, dans un but de protection et d'ouverture au
public.
Les actions préconisées par le
Comité Départemental de la Protection de la
Nature et de l'Environnement du Loir-et-Cher
(CDPNE, 1989) sont très
représentatives de ces deux problématiques. Sur cinq d'entre elles, trois
portent sur
la valorisation réciproque de l'approche artistique, historique et
pittoresque et de l'approche naturaliste,
notamment dans un but
touristique, et deux sur
la valorisation du milieu naturel pour lui-même,
notamment dans des buts scientifiques et pédagogiques.
Pour les sites d'
Onzain- Chaumont-sur-Loire, de Ménars-Saint-Caude -
Cour-sur-Loire - Montlivault
et de Chouzy-sur-Cisse, se reporter p. 116-117.
Sur
le site de Suèvres - Saint-Dyé, il s'agit d'une terrasse alluviale située en
contrebas de la levée, rive droite, au droit exact du port de Saint-Dyé sur
l'autre rive. C'est aussi une ancienne gravière dégradée par des décharges
de matériaux et diverses ruines. Le projet de remise en état s'appuie lui
aussi sur le chemin de halage et pourrait aller assez loin dans la continuité
avec les travaux d'entretien du fleuve s'il était possible de réaliser la mise
en eau du port de Saint-Dyé en profitant de l'extraction des matériaux
nécessaires au renforcement des levées. Alors pourrait être rétabli, aux
périodes estivales et touristiques, le "passage de la Loire" depuis le site en
direction de Saint-Dyé.
Sur les deux autres sites auxquels s'est intéressé le CDPNE, c'est l'approche
naturaliste qui prévaut.
Le site de Chaumont-Rilly, à la limite
intercommunale de la la rive gauche du fleuve, est centré sur les Iles de la
Folie et de la Marinière et s'étend au domaine public qui les borde au sud. Il
est occupé par une forêt alluviale relictuelle rare en Loir-et-Cher. Mais son
accès à partir de la RN 751 est dégradé par une décharge, des dépôts divers et
un stationnement épisodique pour les pêcheurs, les promeneurs, voire les
gens du voyage. L'intérêt particulier du site vient de l'abondance et de la
diversité des espèces végétales représentées (son intérêt faunistique n'est
pas précisé) et de sa vocation de loisir "intelligent" (sic). Le problème
foncier est simplifié du fait que les propriétaires sont au nombre de deux
seulement. Quant au problème de l'intervention dans le domaine public, il
pourrait être résolu par une convention de gestion avec la DDE. Le site une
fois acquis peut faire l'objet d'une retrocession à un Conservatoire des
Sites, par exemple celui du Loir-et-Cher, qui en assurera la gestion le suivi
scientifique et éventuellement l'animation.
Le site de la Petite Loire, sur l'île de Muides, présente un autre intérêt. Il
s'agit en effet d'un ancien bras actif du fleuve qui s'est comblé à la suite de
la construction du pont de Muides et qui fait désormais obstacle à
l'écoulement de l'eau. Le projet consiste essentiellement en un reprofilage
de la Petite Loire en long et en travers, opération qui permettrait de viser
plusieurs objectifs. Les objectifs scientifiques et pédagogiques seraient de
permettre l'observation de biotopes ligériens types et de créer des frayères à
brochets. Les objectifs hydrauliques seraient de faciliter l'écoulement de la
Loire en aval du pont, de limiter l'érosion de l'ïle de Muides provoquée
par le resserrement du lit en eau de la Loire, et d'éviter un réensablement
futur. Les objectifs d'ouverture au public seraient d'assainir le site, dégradé
de multiples façons, d'y réorganiser les chemins et sentiers, dont l'état
actuel empêche toute fréquentation mais aussi toute gestion sensible, le site
appartenant par ailleurs au domaine public fluvial de grand débit.
On aura remarqué que dans ces divers programmes d'aménagement à
dimension paysagère délibérée le souci s'exprime toujours de travailler en
termes de
continuités à tous niveaux. Il s'agit toujours en effet de mettre
des espaces différents en continuité
physique et visuelle d'une part,
symbolique et imaginaire d'autre part. A cet effet, il s'agit aussi toujours de
mettre en continuité, sur ces espaces, des modes d'intervention en
apparence différents et sans rapport les uns avec les autres. de façon à
assurer la coordination indispensable entre les ingénieurs et les techniciens
intervenant sur site à des titres divers et les professionnels du paysage, de
l'urbanisme, du tourisme, de la recherche scientifique à tous niveaux, qu'il
s'agisse d'histoire, de géographie, d'écologie, etc... Nous sommes là dans la
problématique par excellence de l'intervention dans le domaine de la Loire,
celui-ci s'étendant à la totalité de la plaine alluviale.

2. La proposition d'inscription du Val de Loire entre Sully-sur-Loire et la
Maine au patrimoine mondial de l'UNESCO.
Le caractère et l'intérêt que suscitent les paysages des Vals blésois et de
Cisse sont, au coeur de la Loire Moyenne, de ceux qui ont le plus
fortement motivé la proposition d'inscription du Val de Loire au
patrimoine mondial de l'UNESCO
(Coyaud, Mazas, 1998).
Cette proposition a été faite au titre des paysages culturels. Elle repose en
premier lieu sur des critères d'authenticité et d'exemplarité.
Ces paysages
appartiennent en effet, on l'a vu, à l'une des aires culturelles européennes
majeures de rencontres et d'influences entre la Méditerranée italienne, la
France et les Flandres, pays qui ont vu émerger, à la Renaissance, la culture
paysagère de la modernité. C'est là que, conjointement à l'apparition du
mot "paysage" lui-même en Europe, les développements originaux d'organisation
de l'espace et de la nature commençèrent à faire l'objet de
représentations littéraires, picturales et jardinières qui les érigèrent en
modèles esthétiques et explicitement paysagers, conditions requises pour
que l'on puisse parler de paysages culturels (Berque, 1995 : 34).
L'apport le plus original de cette époque fut la métamorphose des jardins
de subsistance simplement ornés de fleurs en jardins proprement
esthétiques. Cette métamorphose accompagna celle des grandes forteresses
moyenâgeuses en châteaux de plaisance et d'agrément. Les modèles d'un
style nouveau qui apparurent alors furent célébrés par les écrivains et les
poètes et ainsi véhiculés à travers la France et l'Europe.
Quant aux représentations picturales des paysages ligériens, elles se
limitèrent dans un premier temps au dessin et à la gravure mais
connurent un renouveau à la période romantique avec Delacroix et
principalement Turner, qui fut alors le peintre majeur de la Loire. C'est
également à cette époque que les représentations émanant de géographes et
de grands voyageurs se firent de plus en plus nombreuses. Enfin, avec
l'avènement de la photographie, le Val de Loire fit l'objet de
représentations si nombreuses que son renom s'étendit à la planète
entière.
La proposition d'inscription du Val de Loire au patrimoine mondial de
l'UNESCO ne se fonde pas seulement sur des critères d'authenticité et
d'exemplarité mais aussi sur des critères d'intégrité pour le présent et pour
l'avenir.
Ces critères sont fondés sur l''attention croissante que notre société porte
aux paysages. Elle reste un des acquis majeurs de cette fin de siècle et un
gage pour l'avenir. On voit mal en effet comment le mouvement
s'arrêterait. Dans le cas du Val, on en prendra pour exemple le cas de
Chambord. Si ce monument est considéré depuis toujours, selon le mot de
Charles Quint, comme
"l'un des résultats les plus achevés de l'industrie
humaine",
on découvre aujourd'hui qu'il ne se comprend et ne
s'apprécie à sa véritable valeur que dans le cadre de ses abords, c'est-à-dire
de ses paysages, et ce jusqu'à la Loire elle-même, pourtant distante de six
kilomètres. De ce point de vue, qui donne à la notion d'abords éloignés
d'un monument historique sa dimension véritable, on peut dire que les
deux dernières décennies ont été marquées par une véritable redécouverte
des paysages du Val. Cette redécouverte augure de l'intégrité à venir de
leurs paysages.
Cette redécouverte s'accompagne de celle du fleuve lui-même. Il y a plus,
désormais, dans notre relation au Val et à son fleuve qu'une nostalgie,
une admiration et un devoir de mémoire pour sa valeur identitaire. Le
fleuve lui-même est revenu à l'ordre du jour pour sa grande valeur
intrinsèque, le Plan Loire Grandeur Nature en témoigne largement s'il en
était besoin.
Comme milieu de vie, la Loire suscite désormais tous les efforts qui
cherchent à lui faire retrouver sa pureté et rester l'habitat privilégié de sa
faune et de sa flore si originales. Berceau de la Renaissance, on découvre
aujourd'hui qu'elle est le lieu de renaissances régulières et qu'elle
demande à être reconnue chaque année, après ses crues saisonnières, par
ses riverains eux-mêmes, qu'elle tient en éveil et en souci. Elle attire les
naturalistes autant que les amoureux de ses paysages, parfois si dépaysants
qu'ils en deviennent exotiques. Elle fait l'objet d'investigations et
d'observations de scientifiques venus de toute l'Europe. On découvre
qu'elle forme un immense organisme vivant où tout interagit et cette
découverte frappe les esprits jusqu'à la fascination. Les modèles de sa
dynamique fluviale commencent à être mieux connus et l'idée qu'il
convient désormais, sur l'ensemble de son cours, de mieux les étudier et
de mieux les connaître afin de lui garantir l'espace de liberté indispensable
à ses renouvellements et à sa diversité, motive toutes les décisions
d'aménagement dont elle fait l'objet.
La sensibilité contemporaine au paysage inaugure une ère nouvelle, dans
laquelle le mythe lui-même se renouvelle. La Loire, restant reine en son
royaume pour certains, prend pour d'autres des figures différentes, en
fonction des points de vue qu'ils adoptent pour la contempler. Si l'on
voulait résumer ces figures diverses du même mythe, on pourrait dire que
la Loire est aujourd'hui vue comme
un autre monde. Cette figure pourrait
paraître un peu abstraite, il n'y en a cependant pas de plus ouverte. Elle se
vérifie, comme on vient de le voir, du point de vue des sciences naturelles
et environnementales. La Loire offre à leur investigation un champ
d'autant plus intéressant qu'elle demeure un des rares grands fleuves du
monde à avoir été apprivoisé par l'homme sans avoir été dénaturé pour
antant. Elle se vérifie aussi sur un tout autre plan, celui de l'appréciation
esthétique. Les études d'aménagement les plus techniques et les moins
susceptibles de partialité mettent l'accent sur la difficulté à appréhender les
paysages de la Loire parce qu'ils seraient d'essence poétique (Béture).


LES VALS BLESOIS ET DE CISSE
INDEX DES COMMUNES
CLASSEES PAR ORDRE D'APPARITION D'AMONT EN AVAL

Courbouzon
Muides-sur-Loire
Saint-Dié-sur-Loire
Mer
Suèvres
Maslives
Chambord
Montlivault
Cour-sur-Loire
Menars
Saint-Claude-de-Diray
Saint-Denis-sur-Loire
Vineuil
La Chaussée-Saint-Victor
Blois
Saint-Gervais-la-Forêt
Chailles
Coulanges
Chouzy-sur-Cisse
Onzain
Candé-sur-Beuvron
Chaumont-sur-Loire
Monteaux
Veuves
Rilly-sur-Loire
Mosnes
Cangey
Limeray
Chargé
Saint-Règle
Amboise
Pocé-sur-Cisse
Nazelles-Négron


Source : Alain Mazas, Paysagiste DPLG - Typologie paysagère de la vallée de la Loire - DIREN Centre -1999