Typologie
paysagère de la vallée de la Loire
LES HAUTES PLAINES
Entre
Le-Puy-en-Velay et Roanne, les cinq plaines du
Puy, de l'Emblavès,
du Basset, du Forez et du Roannais sont autant de bassins sédimentaires de
comblement de lacs ayant autrefois retenu la Loire :
"... lacs dont on doit à
la fois louer et regretter la disparition : en se comblant
de débris et en se
vidant d'eaux, ils nous ont donné de larges plans
d'alluvions avec villes,
bourgs, villages, champs, prairies et jardins ; mais s'ils
ne s'étaient pas
comblés, ni vidés, ils suspendraient les eaux de crue, et
la Loire, ainsi
régularisée, serait un fleuve utile, et bienveillant, au
lieu d'un courant
sauvage" (Reclus, O., 1904 : 691) Ces cinq plaines sont elles-mêmes
séparées
par des gorges, celles de Peyredeyre, de
Chamalières, de Saint-Victor
(occupées par la
retenue de Grangent)
et de Villerest
(occupées aujourd'hui
par la retenue du même nom). Entre temps elle aura parcouru une
dénivelée de près de 300m, et ne se trouvera plus qu'à 275m
d'altitude par
rapport à son embouchure, distante encore de plus de 700
kilomètres. Sur
ce parcours elle aura reçu les affluents de
la Borne, la Sumène, la
Suissèze,
le Lignon vellave, la Semène, l'Ondaine, l'Izeron, le
Bonson, la Mare, la
Coise, le Lignon forézien et l'Aix.
I. TOPOGRAPHIE ET
MORPHOLOGIE DES HAUTES PLAINES
1. La riche plaine du Puy-en-Velay, premier élargissement
de la Vallée de
la Loire
La Haute vallée
aux gorges profondes s'élargit ici pour la première fois en
une vaste plaine, le bassin sédimentaire du Puy-en-Velay.
Le changement
de décor est total. Aux fonds directement exposés aux
caprices de la rivière,
aux versants sauvages où les peuplements forestiers
eux-mêmes ne
parviennent pas toujours à s'accrocher, succèdent de très
larges ouvertures
qui ont attiré et fixé agriculture, populations et
activités de toutes sortes.
Cette occupation humaine si ancienne a en quelque sorte
marginalisé la
Loire elle-même. Elle n'occupe plus le devant de la scène
mais longe la
plaine à l'est et disparaît au milieu des extensions
industrielles de la ville.
Reste qu'elle est toujours soumise aux crues cévenoles,
imprévisibles et
brutales, qui constituent une préoccupation majeure des
populations
riveraines. Le souvenir de celle de Brives-Charensac,
si meurtrière, en
1980, est encore présente dans les
esprits. Elle a donné lieu, comme on l'a
vu, à des aménagements et à des mesures de prévention et
d'alerte.
2. Du défilé de
Peyredeyre à la plaine de l'Emblavès
En aval du Puy,
quelques kilomètres après Le Monteil
et Chadrac,
à
Durianne,
la rivière s'engage dans le très étroit défilé de
Peyredere, taillé
entre le plateau de
Chaspinhac, à l'est,
et l'extrémité sud du plateau de
Craponne, à l'ouest.
Elle mesure désormais une trentaine de mètre de
large, s'engage sur un substrat granitique entre
d'innombrables petites îles
et des rapides, et se faufile par méandres serrés
jusqu'à Lavoûte-sur-Loire
et un nouveau
bassin : l'Emblavès.
Il présente, comme le bassin
du Puy, un
tel contraste avec son cadre volcanique, qu'il fait
véritablement "un petit
pays à lui tout seul" (Tilliard-Blondel, 1995 :
37) le "bon pays"
de la plaine
enrichie par les eaux du fleuve :
“Au
saut des gorges de
Saint-Simon, la Loire se déploie sur un lit moins
resserré. Ses nappes d’argentcoulent à plein flot et
viennent s'enrouler
autour d'un pic solitaire que surmonte l’ancien
séjour d'été des Polignac
:
ici commence un nouveau spectacle : la région orageuse,
volcanique,
débouche en un clin d'oeil sur la plaine de
1’Emblavès, vaste et tranquille
arène des moissons, radieux amphithéâtre dont le castel
de Lavoûte
semble
être le portique..." (Rocher, 1877)
3. De Vorey et des
étroits de Chamalières à la plaine du Basset
A partir de
Vorey, la Loire pénètre dans la partie nord-ouest de
l'Yssingelais,
qui sera lui-même suivi
de l'aire urbanisée sous
influence de
Saint-Etienne. Jusqu'à
Retournac, les gorges se faufilent, comme dans le
défilé de Peyredeyre, entre des monuments
volcaniques, les Monts Miaune
et Gerbizon. Elles
présentent des élargissements occupés par des plages,
dans les convexités de méandres, qui donnent à la
vallée "un air
nouveau"
(Tilliard-Blondel, 1995 : 39).
"En bordure du plateau de
Montfaucon, la Loire coule dans une zone basse
beaucoup plus variée, dont elle fait l'unité, reliant par
des gorges une série
de petits bassins. Les gorges, taillées dans le granite,
sont étroites, profondes,
boisées ou couvertes de landes, inhabitées..." (Locussol,
1926, cité par
Tilliard-Blondel, 1995 : 40)
"A Retournac,
la vallée s'élargit : son
fond est à 500m au-dessous des
"sucs" massifs de la chaîne du
Meygal, qui
la dominent su Sud. Plus au
Nord, la montagne de la
Madeleine, isolée, ressemble à une carène de
navire renversée ; l'étroite table phonolithique du sommet
est inhabitée ;
mais les cultures et les habitations couvrent les pentes
argileuses assez
raides.
L'Ance et la Loire circonscrivent son pied le fertile petit
plateau granitique
de Beauzac."
(Locussol, 1926, cité par Tilliard-Blondel, 1995 : 40)
A la sortie
de ces dernières gorges naturelles, la plaine du
Basset paraît
tellement vaste qu'elle annonce un monde tout différent. Le
fleuve a déjà
dévalé plus de 1000m, n'est plus séparé de l'Océan que par
une dénivelée
de 400 à 450m, et prend une nouvelle allure. C'est ici que,
significativement, il forme sa première île
véritable, la
Garenne. Tout
annonce désormais le Forez.
"Il y a là
un très vaste cirque dont la ville de
Monistrol
garde un côté, du
haut de son promontoire, tandis que, sur la rive gauche, ce
rôle de
sentinelle semble encore dévolu aux ruines puissantes
de Rochebaron
qui
fut une des plus grandes forteresses du Forez. Sous ces
débris féodaux, la
bourgade de Bas-en-Basset s'étale largement entre son
vignoble, ses vergers
et la Loire qui entoure une des plus grandes îles : la
Garenne. Cette rive
gauche, fraîche et riante, formait autrefois un petit pays,
le Basset,
dépendance du Forez" (Ardouin-Dumazet, 1909)
Les liens
qui rattachent la plaine du Basset au Forez ne sont pas
qu'historiques. A l'Ouest en effet, le plateau de Craponne
fait
progressivement place aux monts du Forez. Au Nord, la
vallée traversera
certes d'autres gorges, entre Aurec et Grangent, mais elles
sont désormais
transformées en un autre paysage par la retenue du barrage.
4. La retenue du
barrage de Grangent entre Aurec et la plaine du Forez.
Avant de
déboucher dans la plaine du Forez, la Loire s'engageait, il
y
encore une cinquantaine d'années, dans des gorges qui
comptaient, parmi
les plus sauvages de son cours.
La création du barrage a complètement modifié le paysage.
Il ne s'agit plus
de gorges mais de coteaux plus ou moins raides enserrant un
"lit "
beaucoup plus large que le précédent et dont les contours
n'échappent pas à
l'incohérence par rapport aux motifs naturels que l'on
attendrait. Tel est le
cas, par exemple, de la configuration actuelle du méandre
de Saint-Paul-en-
Cornillon : l'une de ses rives développe la forme d'une
courbe semicirculaire
alors que l'autre affecte celle d'un promontoire pointu
tout à fait
insolite par rapport à la première.
5. La vaste plaine du
Forez.
C'est de très
loin la plus vaste des cinq hautes plaines ligériennes.
Elle
affecte une forme en amande étonnamment régulière, entre
les Monts du
Forez à l'ouest et les Monts du Lyonnais à l'est. C'est un
pays de forts
contrastes, à commencer par celui que forment
les
paysages de chambons,
ces bonnes
terres de culture tapissant la plaine alluviale, et
les
paysages de
bocages et d'étangs, très nombreux et exploités depuis
toujours, installés
sur les terrasses voisines.
Mais le pays doit aussi ses ressources à
l'exploitation
de La Loire, et en
premier lieu, historiquement, à la batellerie.
Les cabanes, les
sapines et
les
rambertes étaient
fabriquées dans ces parages et utilisées pour le transport
des pondéreux jusqu'à Roanne et au-delà. On estime qu'entre
1704 et 1858,
250000 embarcations y transportèrent 12 millions de tonnes
de charbon en
provenance de la région stéphanoise (Pierron, 1998, 12).
Les ports qui
jalonnent le trajet, avant les passages périlleux des
rapides des Sauts de
Pinay et de Peyron sont Saint-Just, Bouthéon,
Craintilleux, Marclopt, Feurs,
Nervieux.
La deuxième
forme d'exploitation du fleuve sera, après l'arrêt de la
batellerie, l'exploitation des
gravières :
"A partir
des années 1950, le fleuve devient
une carrière à ciel ouvert, une
gravière en exploitation. Jusqu'aux années 1980, 150
gravières seront
ouvertes, créant un paysage de plans d'eau et de sites
remblayés dont le
devenir paysager n'a jamais été une préoccupation majeure.
Le
réaménagment des gravières, obligatoire depuis 1971, se
limite souvent à la
plantation de quelques végétaux et à une remise en état
sommaire."
(Pierron, 1998 : 14)
6. La plaine de Roanne.
Beaucoup plus
petite que la plaine du Forez, elle en est aussi très
différente
par ses paysages.
"Les sols
propices aux cultures ne couvrent que de 10 à 20 % de la
plaine et,
au surplus, sont disposés beaucoup plus en mosaïque qu'en
sousensembles
réguliers. Les chambons de la vallée de la Loire sont
d'étendue
très réduite ; le progrès de la polyculture n'en a pas
débordé sur les terres
médiocres voisines comme cela a été le cas dans la plaine
forézienne."
(Cretin, cité par Pierron, 1998 : 29)
La vigne,
qui fait ici son apparition,
et les grands élevages de
Charolais
apportent leur
part à la prospérité locale. Mais la plaine est dominée par
l'importance de la
ville de Roanne et de
son économie. Elle avait déjà
quelque importance au XV° siècle grâce au développement de
son
commerce, à la charnière entre les pays
d'oc et les pays d'oil. La batellerie a
joué un rôle déterminant dans son développement, notamment
dans les
liens établis avec le Val de Loire et jusqu'avec la
capitale comme marché
lointain mais accessible. Après la fin de la batellerie,
les réussites
industrielles des filières textile et mécanique prennent la
relève.
Aujourd'hui, l'avenir se cherche dans la requalification
locale des savoirfaire
traditionnels et l'innovation commerciale extra-régionale.
La ville cherche
sa valorisation paysagère dans l'image d'une
agglomération où "il fasse bon vivre à la campagne". La
Loire en constitue
l'axe d'attraction. En amont de la ville, elle a conservé
ses gorges naturelles
sur quelques kilomètres. A l'est, les prairies du Rhins,
son affluent majeur,
lui apportent les potentialités d'aménités d'une belle
vallée. Quant à son
centre-ville, ce sont le port et son grand bassin de
liaison avec le canal qui
en constituent le point fort historique et touristique.
II. LES CARACTERES DES
PAYSAGES DES HAUTES PLAINES
1. Le Puy-en-Velay : la ville "la plus pittoresque de
France"?
Le site du
Puy-en-Velay a mérité d'être choisi entre mille pour
illustrer la
pleine page d'introduction aux Villes et Curiosités
du guide Michelin de la
Vallée du Rhône (Michelin, 1995 : 39). L'exceptionnelle
singularité du
paysage qui s'y révèle mérite amplement cet honneur. Toutes
les
descriptions souligent ce caractère : "l'un des sites les plus
extraordinaires
de France" (Michelin, 1995 : 153) et même, pour le
géographe Onésime
Reclus, "la ville
la plus pittoresque de France" (Reclus, 1904 : 338). Comme
très souvent les intérêts pittoresque, scientifique,
historique, artistique et
légendaire vont ici de pair. Voici ce qu'en disait Vidal de
la Blache au début
de ce siècle :
"(...) au
fond de la vallée d'arbres et d'eaux vives surgissent les
deux piliers
de la Roche Corneille et de Saint-Michel. On les croirait
jaillis du sol et
cependant il n'en est rien : ce sont des débris restés
debout dans un amas de
projections qu'ont balayé les eaux. Accrochée au flanc du
principal rocher,
la sombre église-forteresse du Puy se dresse dans un
enchevêtrement de
ruelles, de rampes, de couvents. Elle garde dans sa
physionomie rude une
sorte de fierté sauvage. Il semble que la ville qui s'est
groupée à la base du
roc lui soit étrangère. Tout là-haut respire le passé. Sur
ce rocher bizarre,
un temple païen a précédé l'église épiscopale, des cultes
se sont succédé, des
pélerinages ont afflué et cette persistance exprime
l'impression que ces
lieux ont faite sur l'imagination des hommes" (Vidal de La
Blache, 1903)
Le texte
détaille en quelques lignes l'émotion provoquée par ce
spectacle si
original, insiste sur sa valeur historique, au carrefour
des voies venues des
quatre points cardinaux sur un chemin de Saint-Jacques, et
suggère la place
qu'il tient dans notre imaginaire. Il
peut être en effet tenu pour
emblématique de deux grandes facettes du mythe ligérien, où
le naturel
côtoie toujours l'humanisé et le maîtrisé - ce qu'a bien
noté l'Atlas des
paysages de Haute-Loire :
"Le paysage
du bassin du Puy est un aller et retour permanent entre la
nature sauvage et la nature maîtrisée" (Tilliard-Blondel,
1995)
2. L'"oasis" vellave de
l'Emblavès : "Un petit pays à lui seul"
Le pittoresque
du site est fait, comme au Puy, du contraste très accusé
entre
l'environnement naturel et sauvage et la plaine "radieuse"
dans laquelle
les motivations sont faites de soulagement, de détente,
d'euphorie même,
à en croire Rocher, au sortir des resserrements parfois
angoissants des
gorges qui l'enserrent :
"Cette
plaine, sans rivale en nos parages, s'ouvre en effet à
quelques pas du
manoir (de Lavoûte-Polignac,
ndlr). Elle surgit tout à coup comme une
vision, une féerie champêtre. C'est un vaste bassin à
coupes irrégulières,
sillonné dans toute sa longueur par le fleuve, encadré, à
ses divers aspects,
par les vésuves refroidis de l'éruption antédiluvienne. Au
nord se
dressent le pic de Seneuil et les crêtes granitiques de
Vorey qui aboutissent
aux montagnes phonolithiques de Miaune et de
Gerbizon ; au
midi
s'élèvent le rempart volcanisé de Lavoûte et dans le
lointain les pics de
Saint-Etienne-Lardeyol
et de
Montferrat.
La première impression
qui se
dégage de ce site splendide, c'est l’harmonie entre
la sévérité des cimes et la
grâce des bas-fonds. Les sucs dont les crêtes inégales
s'élancent en flèches
ou s’arrondissent en coupoles, se marient sans
désaccord avec la placidité
du paysage et lui laissent son air de bonhommie et de
calme. Sur la
hauteur, les côtes sont arides, mais au déclin des versants
boisés et sur les
plateaux inférieurs, on trouve les prés touffus, les
froments drus et jaunes,
les légumineuses altérées de soleil. La Loire exhale une
tiède fraîcheur, des
brises clémentes soufflent à travers les oseraies de la
rive et courbent
mollement la blonde tête des épis. Les bises aiguës, les
autans furieux se
perdent dans les sommets du voisinage. Le ciel si pur, qui
sourit à
l'Emblavès, la douce atmosphère qu'on y respire, sont dûs
surtout aux
deux chaînes de montagnes dont les replis ondulent comme
une ceinture
autour de l'oasis vellave." (Rocher, 1877)
Tel
est"l'oasis
vellave", dont "la tiède fraîcheur",
un bel oxymore, traduit
sans doute le mieux la douceur.
"Le maître
mot du paysage de l'Emblavès est sans aucun doute la
douceur,
elle se manifeste à la fois dans le cours de la Loire, dans
l'horizon des
plaines, dans la forme érodée des buttes, dans le modelage
des argiles et
dans le climat, la facilité des cultures, l'abondance des
vergers, le feuillage
éphémère des arbres caducifoliés." (Tilliard-Blondel, 1995
: 37)
3. Quel pittoresque
pour les retenues des barrages?
Le Guide bleu et
le guide Michelin ont une appréciation très différente de
la retenue du barrage
de Grangent. Le
premier lui accorde deux étoiles, et
classe comme pittoresques les RD 46 puis 108 et 32,
principalement sur la
rive gauche. Le second ne consacre que trois lignes à la
retenue et ne
mentionne pas les routes. Un tel exemple est rare, d'autant
que le Guide
bleu est souvent moins exigeant dans le choix et le nombre
des points de
vue qu'il recommande.
C'est le site de
Chambles, sur la rive
gauche, qui a souvent été considéré
comme un des plus beaux des gorges de la Loire. Il figure
notamment dans
l'Atlas
aérien de la France de Pierre Deffontaines et Mariel
Jean-Brunhes
Delamarre. La photographie qui le représente date d'avant
la construction
du barrage, en 1957, et l'on peut y lire en légende
que "la Loire
descend, en
rapides et en méandres sauvages, dans les sévères gorges de
Chambles"
(Deffontaines, 1956 : 165).
Tel n'est
plus le cas, et l'on peut se demander si le "sauvage"
existe encore
ici. Les versants raides et boisés subsistent mais ils ne
débouchent plus sur
les chaos de roches et d'eaux vives qui rendaient la
puissance du fleuve si
sensible et spectaculaire. La vallée ne résonne plus du
bruit de ces eaux, qui
s'amplifiait parfois jusqu'au fracas au fur et à mesure que
l'on descendait
et qui imposait le respect et la distance. Le silence
actuel redouble
l'immobilisme de la nappe d'eau, inhabituel dans de tels
horizons, et y
remplace la fascination pour le sauvage par un calme d'une
espèce
particulière, une sorte d'assoupissement, d'engourdissement
dont on
attendrait quelque chose qui ne vient jamais.
Par ailleurs la vallée se présente désormais sur des
kilomètres comme une
barrière entre l'Est et l'Ouest, difficilement
franchissable, que ce soit par un
pont ou par un bac. Ce caractère est contradictoire avec
l'un des aspects
majeurs de la Loire sur tout son cours, très justement
formulée par
Maurice Genevoix lorsqu'il écrivait qu'elle est
"frontière et lien tout
ensemble" (Genevoix, Images du Val de Loire,19 :
14). C'est sans
doute une
des raisons pour lesquelles les abords de la retenue, ici
comme à Villerest,
n'ont suscité aucune dynamique notable d'appropriation
résidentielle :
signe d'indifférence paysagère ou absence d'enjeux
touristiques ou de
loisirs?
Comme sur Grangent, le sauvage n'existe plus guère
sur la retenue de
Villerest dernier barrage construit sur le fleuve
(1983). Les chaos de
roches
et d'eaux vives ont été ennoyés, pour ne pas parler des
habitations ni des
sites historiques et préhistoriques. La vallée ne résonne
plus du bruit des
eaux vives. Et les malheureux effets de la zone de marnage
de 12m et des
difficultés d'accès à l'eau, dues à la raideur des pentes
qui y plongent
désormais sans transition, ajoutent à la perte de valeur
paysagère :
"Le barrage
de Villerest a substitué au fleuve un lac dont les qualités
paysagères sont très en retrait de celles du site englouti.
Un projet de
paysage conçu à l'origine aurait permis de retrouver une
nouvelle logique
au territoire bouleversé : les structures paysagères
confortées ou créées, le
réseau viaire maillé et cohérent, les espaces de loisirs ou
d'habitat auraient
alors dessiné un paysage contemporain." (Pierron, 1998 :
27)
La retenue
présente certes un potentiel de
tourisme bleu. C'est
sous ce titre
que les loisirs nautiques, jadis surtout pratiqués sur le
plan d'eau de la
Loire à Roanne, en sont présentés comme l'atout touristique
principal.
Mais cet atout ne vaut pas forcément qualité paysagère :
"Auparavant,
ces gorges pittoresques étaient des lieux de promenade
chers
aux Roannais et connaissaient aussi une véritable
fréquentation
touristique d'été comptant des étrangers, des adeptes du
camping sauvage,
pêchant, participant aux fouilles des sites préhistoriques,
escaladant la
roche de Saint-Priest... Une estimation du début des années
70 avançait le
chiffre total d'au moins 100 000 "visites" dans ces
gorges/an. Depuis sa
mise en eau, en 1984, le lac a modifié ces données. Il est
sûrement un atout
par sa surface importante (de 500 à 770 ha) mais, du fait
de sa fonction
principale, ses variations de niveau entre les cotes 316 et
304, créent des
difficultés de valorisation touristique : effets paysagers,
problèmes d'accès à
l'eau." (Bergeron, 1993 : 133)
4. Le canal et les
parcs agricoles du XIX° siècle, modèles d'aménagement
paysager des plaines.
"Le paysage
agricole des plaines du Forez et du Roannais est marqué
essentiellement par la structuration héritée des parcs
agricoles du 19° siècle.
Les propriétaires fonciers influencés par la mode du jardin
anglais, par la
littérature et par la peinture composent leur domaine comme
un parc
paysager. Les châteaux annoncent l'origine des grands axes
qui desservent
les fermes et les terres. Les vues sont soignées et
choisies, les masses boisées
et les cultures justement organisées. Le bocage, d'abord
"outil" de clôture
devient rapidement un outil de composition du terroir."
(Pierron, 1998 :
38)
On oublie
trop souvent la marque laissée dans les paysages de la
Sologne et
de la Loire bourbonnaises par la révolution agronomique du
XIX° siècle.
Cette révolution, initiée en Sologne par
Victor
d'Estutt de Tracy, conduira
à la création de parcs agricoles dans lesquels la
valorisation des terres alla
toujours de pair avec l'équilibre de la contextualisation
par rapport aux
grands saltus de la forêt et du fleuve. En Loire, la
création de cet équilibre
fut souvent confiée à Paul de Choulot
(1794-1864), célèbre
pour la qualité de
son urbanisme paysager au Vésinet, et créateur des parcs de
Changy,
Vougy, Quérezieux et Chamarande.
III. LA LISIBILITÉ DES
PAYSAGES DES HAUTES PLAINES
1. Dans la plaine du Puy : la banalisation des coteaux
environnants
Le site connaît
des dynamiques de développement qui l'ont marqué.
Rendu très attractif par son caractère et par sa position
de carrefour
régional, il n'a pas échappé à des modèles d'extension
urbaine qui n'ont
pas toujours tenu compte des modèles paysagers en place.
Déjà Vidal de la
Blache avait noté que la ville, groupée à la base de la
Roche Corneille, "lui
semblait étrangère". L'impression est encore plus nette
aujourd'hui.
Entre la ville ancienne et la Loire se sont localisés les
sites d'activités
industrielles et artisanales qui ont marginalisé la
confluence entre le
fleuve et la Borne, venue de l'Ouest, et banalisé le fond
de leurs vallées.
Quant à l'habitat, il a envahi les versants de
l'amphithéâtre environnant
la ville ou encadrant les deux vallées confluentes. Il n'a
souvent pas su
éviter le modèle d'urbanisation en doigt de gant le long
des voies de
circulation. Le semis diffus et désordonné qui en résulte a
fini par brouiller
en maints endroits la lecture des horizons naturels
affirmés par les
boisements des coteaux parfois précédés de vignes. Or si le
paysage du Puy
est cet "aller et
retour incessant entre le naturel et le
maîtrisé", il
importerait que l'un et l'autre soit clairement lisibles :
le naturel comme
cadre de l'urbain. Tel est bien le cas dans la photographie
emblématique
donnée par Michelin. Elle propose un modèle d'organisation
et de lecture
fait de l'enchaînement des motifs suivants
:les rochers
Corneille et
d'Aiguilhe, la
ville en
ses
jardins, puis la forêt sur les
coteaux et
enfin les
espaces agricoles des plateaux
environnants.
Ce modèle ne
fait que reprendre, en l'adaptant au cas particulier du
Puy, le
modèle d'organisation et de lecture de nos paysages tel
qu'exprimé par la
séquence classique : saltus - ager -
hortus - domus - hortus - ager - saltus.
Dans cet
enchaînement, le bâti du
domus
apparaît placé au centre d'un
espace occupé par les jardins,
les vergers
ou les vignobles de
l'hortus
puis
les cultures de
l'ager,
et limité par l'horizon
les espaces naturels
des saltus
historiquement hantés par les animaux
sauvages et parfois pacagés par les
animaux domestiques. Il va de soi que chacun de ces grands
ensembles
peut connaître des développements considérables et donner
lieu à
différents modèles comprenant eux-mêmes des enchaînements
de motifs
de spatialité structurels. Le bâti peut être une simple
ferme isolée ou une
ville entière, dont il conviendra d'analyser le modèle
propre, comme ce
sera le cas pour les ports ligériens par exemple. De même
les espaces
naturels des saltus peuvent être d'immenses forêts ou des
fleuves au lit
inondable très large, comme ce sera précisément le cas sur
la Loire. Mais le
modèle fondamental, que l'on désignera sous le nom
de charpente
paysagère, et, dans le
cas de la vallée de la Loire, de charpente paysagère
ligérienne, inclura
toujours l'enchaînement précédent et servira de
référent à tout aménagement, s'il veut produire un paysage
qui soit un
espace habitable, parcourable et attrayant pour tous.
Sur le Puy et Brives-Charensac, les saltus sont représentés par les coteaux
boisés qui font
amphithéâtre autour de la plaine et de part et d'autre de
la
Loire, très excentrée par rapport à cette plaine. Ce sont
eux par excellence
qu'il aurait convenu de ne pas toucher afin de conserver à
la ville ses
limites et ses horizons naturels. De tels coteaux, on en
retrouvera
d'ailleurs tout le long du fleuve, avec toujours la même
problématique :
des motifs naturels essentiels à la charpente paysagère
ligérienne, qu'il
importerait donc au plus haut point de ne pas urbaniser.
2. La plaine du Basset
: la banalisation des saltus
fluvial et
côtier
Les cités
qui s'égrènent au long de la Loire se partagent en deux
types
d'activités. Dans la section des gorges, où la place est
comptée, elles se
tournent essentiellement vers le tourisme et les
loisirs. A
partir de
Retournac, en raison de l'influence de la sphère
stéphanoise, elles se
consacrent principalement à la production
industrielle : industries
mécaniques, transformation des métaux, équipements pour les
cycles et
l'automobile, industries du bois, imprimeries, etc. Cette
dernière zone, tout
comme le plateau oriental voisin, connaît un dynamisme
certain qui se
manifeste par la croissance de la population de toutes les
communes
concernées." (Guide bleu, 1997 : 521)
Dans
l'espace ligérien, le modèle de la charpente paysagère se
caractérise
par la présence de deux saltus : le saltus fluvial
et le saltus côtier, la plupart
du temps boisé, parfois occupé par la vigne ou les
vergers, qui
encadre la
vallée. Le paysage se joue
entre ces deux saltus,
qu'ils soient séparés par
l'ager
de la plaine alluviale ou
qu'ils se touchent lorsque le fleuve butte
sur l'un des coteaux. Ce saltus fluvial correspond à ce que
les hydrauliciens
appellent d'une expression des plus intéressantes et
suggestives pour le
paysagiste : l'espace de liberté du
fleuve. L'expression
dit superbement ce
qu'elle veut dire : le fleuve a son domaine propre qu'il
convient de
respecter si l'on veut coexister et vivre en bonne entente
avec lui. La crue
catastrophique de 1990 est venu le rappeler à la mémoire
collective. Ainsi
importerait-il qu'il reste intouché par les autres motifs
du modèle, au
premier rang desquels le bâti, dont il devrait être séparé
par un motif
cultivé de l'ager, par exemple des cultures ou des
prairies. C'est loin d'être
toujours le cas. Les dynamiques d'urbanisation tendent très
souvent à
envahir l'espace jusqu'à méconnaître les
saltus.
Les
établissements
indutriels, les campings en bord de Loire et les
lotissements
résidentiels mal
conçus aboutissent au brouillage de la
charpente paysagère, touchée par le mitage et les
maladresses de
l'aménagement.
Tel est le cas, dans la plaine du
Basset, pour
l'urbanisation qui prend place
entre les centres anciens de Monistrol
et de Bas.L'Atlas des paysages de la
Haute-Loire attire l'attention sur :
"... les
franges urbaines peu soignées, les lotissements immenses,
les
constructions isolées et les campings qui côtoient des
espaces agricoles
divers - maraîchages, vergers, cultures et prairies - et
des secteurs plus
sauvages - bords de Loire, bras morts, îles et plages..."
(Tilliard-Blondel,
1995 : 43)
Sur la rive
gauche, on reconnaît encore les principaux motifs de la
charpente paysagère. Sur la rive droite en revanche,
l'urbanisation apparaît
comme un éparpillement
confus entre
Gournier, Gourdon,
Basset, les
Granges, Bas, etc...
Quant
au lotissement du Domaine
de la Rivoire, il
attire l'attention, lui
aussi, par la faiblesse de son insertion entre les
saltus
et les jardins et
cultures qui l'entourent. Le seul nom de
domaine
aurait dû induire un
modèle incluant de tels motifs. Les premiers lotissements
de l'histoire de
l'urbanisme ont été précisément créés dans des grands parcs
incluant des
pâtures, des cultures, un jardin et le logis central, et
reliés au paysage
environnant. En témoigne de façon remarquable celui du
Vésinet, près de
Paris, oeuvre de Paul de Choulot (1794-1864), créateur par
ailleurs de quatre
grands parcs dans le Forez et le Roannais.
Il aurait
donc été intéressant de
commencer par concevoir la création d'un parc pour le
lotissement, dans
la continuité avec les motifs en place, puis d'y insérer
les résidences - au
lieu de faire l'inverse en commençant par aligner les
résidences dans une
logique géométrique et fonctionnelle ne laissant plus
aucune place au
modèle paysager.
De telles méconnaissances du modèle de la charpente
paysagère ligérienne
seront légion tout au long du fleuve en aval des Hautes
plaines. Le type
d'urbanisation développé entre Aurec et
Saint-Paul-en-Cornillon en
donnera un troisième exemple.
3. D'Aurec-sur-Loire à
Saint-Paul-en-Cornillon et de Saint-Rambert à
Veauche : la dégradation des modèles portuaires ligériens
Sur ce linéaire,
à l'exception des quelques kilomètres qui séparent
Unieux
de
Saint-Rambert,
l'urbanisation qui s'est
développée en contact direct
avec le fleuve ne correspond en rien aux modèles portuaires
ligériens. Ces
modèles sont de deux types :
- celui des ports des villes commandant un pont, qu'on
appellera les villesponts,
- celui
des bourgades
portuaires qui
s'intercalent entre elles, sans pont sauf
rare exception.
Ces modèles sont les seules exceptions qui confirment la
règle du respect
du saltus fluvial par un recul suffisant. Cela se
comprend dans la mesure
où ils sont installés sur des convexités de méandres ou de
courbes où les
deux saltus se touchent, et à plus forte raison sur les
levées. Ils se
retrouveront dans tous les ports de Loire. Le modèle des
villes-ponts sera
par ailleurs repris, au XVII° siècle par les paysages
célébrissimes de Vaux-le-
Vicomte et de Versailles dans lesquels les canaux
perpendiculaires au
grand axe de composition représentent symboliquement la
Loire.
En Loire, le modèle habituel des
villes-ponts présente
l'enchaînement de
motifs suivants: le pont
qui relie les deux
rives, les
quais et
la
façade
urbaine qui le
longe, puis, dans le prolongement du pont et de la route
qui
y conduit, la grande
rue, sur laquelle
ou près de laquelle s'organise la
centralité urbaine avec sa place
et les grands motifs de la
vie collective,
palais ou château,
cathédrale ou simple église, bâtiments culturels,
commerces, etc...
Le Puy, seule ville ligérienne qui ne soit pas un port, est
seule aussi à échapper à ce modèle.
Dans ce modèle, le port est entièrement tourné vers le
fleuve auquel il
présente sa façade, suivie vers l'arrière-pays des lieux de
la vie collective et
des habitations, elles-mêmes suivies des installations
utilitaires. Tel est
l'ordonnacement habituel. Il sera parfois reconnaissable
entre Aurec et
Veauche, bien que souvent noyé dans les développements
récents, là où
un pont rendra possible la reconnaissance de
l'enchaînement pont - quai -
façade urbaine - centralité urbaine - quartiers d'habitat -
installations
utilitaires. Dans
d'autres cas, trop fréquents, on ignorera plus ou moins
complètement le modèle.
Le modèle de la
bourgade portuaire conserve du premier le principe de la
façade urbaine le long du fleuve. La Grande Vallée d'Anjou
en donnera
des exemples remarquables quasi intouchés. Mais ici, il est
désormais
méconnaissable : en remplaçant les façades de qualité par
toutes sortes
d'installations, voire d'habitations l'urbanisation semble
désormais
tourner le dos au fleuve. Tel est le cas le long de la Loire
forézienne entre
Saint-Just-Saint-Rambert et Veauche :
"La pression
de l'agglomération stéphanoise impose déjà ses sujétions et
la
Loire n'assure que très difficilement son rôle de repère et
d'armature dans
ce paysage d'aspect chaotique et mal maîtrisé. L'habitat
individuel de
masse, les infrastructures nouvelles, les parcs d'activités
et espaces
commerciaux, d'une banalité convenue, assurent le fond du
paysage... Les
continuités, les liaisons, les relations du territoire au
fleuve ou de la ville
au fleuve sont extrêmement réduites et l'espace devient
rare et convoité.
Les façades des villes tournées vers la Loire affirment
cette tension. Les
implantations anciennes s'opposent aux façades récentes
incapables
aujourd'hui d'offrir la même qualité architecturale ou
urbaine." (Pierron,
1998 : 17)
4. De Veauche à Feurs :
la marginalisation du saltus fluvial et le brouillage
de la charpente paysagère
A l'aval de
Veauche, seuls quelques kilomètres, entre Cleppé et le
début
des gorges de Villerest, assurent une véritable lisibilité des
paysages (voir
carte p. 28). Entre le bâti qui occupe les terrasses et le
saltus
fluvial,
l'ager
des
varennes et des chambons de la plaine alluviale est lisible
et praticable.
Les motifs linéaires du paysage, haies, fossés, levées
et chemins y sont
identifiables et maintiennent une relation physique avec le
fleuve. Et ce
dernier apparaît clairement, dans son espace de
liberté matérialisé par sa
ripisylve.
Mais sur le reste de la séquence, le fleuve se trouve
écarté du paysage par
l'accumulation des effets induits par les gravières :
"C'est en aval de
Veauche que commence l'exploitation intensive des
matériaux du fleuve. Les sites d'extraction d'âges
différents se succèdent et
introduisent avec eux des industries de transformation.
Ainsi se
juxtaposent aux espaces agricoles et à la Loire des
gravières en exploitation,
de vastes plans d'eau, des zones humides en cours de
recolonisation
naturelle, des
dépôts de matériaux, des usines de fabrication, des friches
industrielles... Le
paysage est d'une extrême confusion
et son devenir ne semble
pas
maîtrisé. Les traces d'un territoire millénaire ont été
effacées en quelques
dizaines d'années par une mono-industrie exclusive. Le
parcellaire, l'usage
de la terre, le travail du sol ont disparu sans être
remplacés par d'autres
structures équivalentes." (Pierron, 1998 :19)
IV. LA PROTECTION ET LA
MISE EN VALEUR DES PAYSAGES DES
HAUTES PLAINES
1. La reconnaissance des saltus
fluvial et
côtier de la vallée :
Cette
reconnaissance doit se substituer à la méconnaissance dont
ils ont
trop souvent été l'objet du fait d'une exploitation
inconsidérée liée à
l'urbanisation sous toutes ses formes. Ils devraient être
accompagnés des
motifs qui leur sont organiquement liés : sur les coteaux,
les boisements,
parfois
remplacés par des parcs
ou des vignes,
ainsi que les chemins,
voire
les routes
qui les accompagnent ; sur
l'espace de liberté du fleuve, la
ripisylve
qui le longe, ainsi que
les chemins
et sentiers
qui y donnent accès.
La nécessité de cette reconnaissance a été l'une des
motivations du
lancement des Plans, Contrats
et Chartes de
paysages (1990). Elles
ont été
suivies de la Loi sur l'eau
(1992) et de la
Loi sur les
paysages (1993),
ellesmêmes
mises en oeuvre à travers divers outils de planification
paysagère :
les volets paysagers
des permis de construire, la prise en compte du paysage
dans les POS, l'amendement Dupont relatif au paysagement des abords des
grandes infrastructures et des entrées de villes (article L
111, 1-4 du Code de
l'urbanisme). Il apparaît aujourd'hui que seuls de tels
documents, qui
mettent en oeuvre des démarches partenariales et
intercommunales,
peuvent réellement concourir à la prise en compte des
données de la
charpente paysagère comme cadre de toute organisation
paysagère. Tel a été
le cas en Loire avec les Plans de paysage du Canton de
Decize-la-Machine et
du Val entre Orléans et Blois (voir chapitres suivants). La
concertation
qu'ils ont mise en oeuvre a permis de fixer le projet
global et le
programme d'actions qui servent désormais de référence pour
tout
aménagement.
1.1. Dans le site du
Puy
Une telle
démarche permettrait de mettre en oeuvre les
recommandations
suivantes, signalées dans l'Atlas des paysages de
Haute-Loire :
- Donner
toute leur importance au recensement et à la
délimitation des
saltus côtiers environnants, qu'ils soient boisés ou rocheux, et
éventuellement occupés par des vignes, afin de les
conserver comme cadre
et horizon naturel, en transition avec les espaces
agricoles des plateaux
supérieurs. Dans certains cas, leur maintien restera sans
doute symbolique.
Raison de plus pour y tenir.
- Faciliter l'accès
et la découverte de ces saltus proches de la ville. Il s'agit
de profiter du voisinage entre l'urbain et le naturel en
proposant des
circuits de découverte et des visites de sites précis comme
les sites
volcaniques, les bords de rivière, les zones humides, les
peuplements
forestiers et notamment les bois de "pins de boulange",
etc...
- Aménager et protéger, à travers les documents
d'urbanisme, des points de
vue permettant la découverte du site.
L'arrivée sur le Puy par
le nord est
très spectaculaire, l'arrivée par l'ouest également.
Quelques points de vue
pourraient être dotés de tables de lecture du paysage, par
exemple aux
Gorges du Lion, vers Fay-la-Triouleyre, à l'Ermitage.
- Etendre le conseil en paysage et en architecture
aux jardins
et aux
limites
de propriété. Aux alentours de la ville, de
nombreuses maisons
individuelles se construisent. Des conseils pour la
conception des jardins et
en particulier la réalisation de haies et de murets
seraient très utiles. De
même en ce qui concerne les palettes
de couleurs dans les lotissements ou
lors de restaurations.
(Tilliard-Blondel, 1995 : 33)
1.2. De l'Emblavès à la
plaine du Basset
Dans l'Emblavès, à
proximité du Puy, le caractère résidentiel pourrait se
développer. Outre la qualité de son paysage, il est rendu
très attachant par
l'abondance des petits et grands édifices de son patrimoine
rural, en
particulier les moulins : "Sa vocation touristique, sur les
bords de Loire
mais aussi dans les terres, implique une certaine qualité
des abords de
fermes, des aménagements, des lieux
publics.”(Tilliard-Blondel, 1995 : 37)
D'où les
recommandations suivantes :
- Entretenir
les bords de rivières et
de Loire.
- Améliorer les
abords et l'impact visuel des campings :
plantations,
réflexion sur les dispositions des emplacements.
(Tilliard-Blondel : 41) Ce
point, que l'on retrouvera fréquemment sur les bords du
fleuve, mérite à
lui seul une étude détaillée dans la mesure ou
de telles
installations ne
devraient pas trouver place dans le saltus
fluvial
mais en dehors de ses
limites.
- Conserver ou créer
des accès aux
rivières et aménager leurs abords pour
les loisirs à condition de ne pas dégrader des milieux
naturels intéressants.
- Eviter les
boisements résineux et encourager les feuillus. Afin de
s'intégrer au mieux dans la logique paysagère de
l'Emblavès, le boisement
résineux n'est pas souhaitable.
- Inciter à la
plantation d'arbres fruitiers dans les jardins
des constructions
nouvelles et dans les
aménagements publics, pour rappeler le passé fruitier
de la région agricole de l'Emblavès.
Dans la plaine du
Basset, les vocations
touristique et résidentielle de la
plaine conduisent aussi, comme l'a bien relevé
l'Atlas des paysages de
la
Haute-Loire, à
exiger un cadre paysager de meilleure qualité. La dynamique
touristique s'affirme surtout sur la rive gauche du fleuve
autour des
ruines de
Rochebaron d'une part
et de la vallée de l'Ance
d'autre part. De
l'extrémité du promontoire de Rochebaron, la vue s'étend
sur la plaine et
la retenue de Grangent. La corniche de la vallée de l'Ance
propose, elle
aussi, de belles échappées sur les environs et des
itinéraires de promenade
et de randonnée très appréciés. Tel n'est pas le cas rive
droite. D'où les
recommandations suivantes :
Des POS à dimension
paysagère pourraient utilement y déterminer les
limites des grands motifs naturels de la charpente
paysagère : coteaux,
boisements, ruisseaux de Razes et de Foletier,
fleuve, qu'il
conviendrait de
préserver, voire de restaurer, afin d'en faire le cadre
stable de
contextualisation de tout aménagement bâti nouveau.
Quant à la réalisation de ces aménagements bâtis, on
s'attachera, dans
l'instruction des volets paysagers des permis de
construire, à ce que soit
respectée la démarche explicitée plus haut à propos du
Domaine de la
Rivoire (voir p. 35), à savoir de commencer par concevoir
une
composition paysagère en fonction du contexte avant d'y
insérer le bâti, et
non l'inverse, à savoir d'aligner des résidences dans une
logique
géométrique et fonctionnelle ne laissant plus de place au
modèle paysager.
On notera
par ailleurs, avec L'Atlas des paysages de la
Haute-Loire :
- Mettre en valeur
les bords de Loire.
- Surveiller les mutations des terres laissées par
l'agriculture :
enfrichements, boisements en résineux, constructions
anarchiques
- Améliorer les
abords des bâtiments agricoles, par exemple le village de
Lamure (voir carte p. 25)
- Exiger une bonne
qualité architecturale pour les zones d'activités
nouvelles et les lotissements
- Traiter les espaces publics et les entrées
d'agglomération
-
Améliorer les abords des
bâtiments industriels et des campings
-
Donner des conseils pour les couleurs de
façades, les jardins et les limites
de
propriété
- Soigner les lieux
de vie :
nettoyage, fleurissement des abords,
aménagements
(Tilliard-Blondel, 1995 : 41)
2. Dans les plaines du
Forez et de Roanne : la réhabilitation des anciennes
gravières
A
Chambéon, l'expérience du site
Ecopôle présente un cas de réhabilitation
d'une ancienne gravière en espace
naturel, de façon à
lui faire retrouver en
quelque sorte son appartenance au saltus fluvial. Patrice Pierron attire
cependant l'attention sur le fait qu'il ne faut pas voir
dans cet exemple le
modèle unique de réaménagement de tels sites, comme c'est
trop souvent
le cas sur le territoire national :
"Une complicité de fait s'est établie
entre l'exploitation de graviers et la
production d'espaces "naturels". La reconversion d'un grand
nombre de
gravières n'est d'ailleurs envisagée que sous ce
devenir. Par ce
fonctionnement la Loire est isolée du territoire qu'elle
traverse, isolée des
pratiques et des usages diversifiés dont un fleuve est
naturellement
porteur. La
majeure partie de la plaine (du Forez, ndlr) est d'ailleurs
déjà
classée en ZNIEFFF ou en ZICO, et peut-être demain en
réserve naturelle.
Et pourtant la qualité des paysages, la diversité des
ambiances, la stabilité
des espaces naturels reposent sur un équilibre que
n'assurent ni la
protection systématique, ni la consommation excessive et
exclusive du
territoire. Cet équilibre reste
aujourd'hui à imaginer. Il doit proposer une
attitude qui favorise un faire-valoir partagé du
territoire." (Pierron, 1998 :
21)
Autrement
dit on prendra garde aux solutions toutes faites et
passepartout.
On prendra garde notamment au fait que de nombreuses
gravières
n'appartiennent pas (et n'appartiendront plus, depuis leur
interdiction
dans le lit mineur) au saltus fluvial, mais à l'ager de la plaine alluviale et
du lit majeur. De ce fait, elles relèvent d'autres modèles
que ceux de la
ripisylve, et à plus forte raison des étangs des varennes.
Parmi ces modèles
Pierron propose celui du
parc, à l'instar de
ceux qui ont été aménagés de
longue date dans la plaine alluviale.
3. La reconnaissance
des modèles agricoles, urbains et viaires en place :
Cette
reconnaissance revient à prendre en compte les modèles
de l'ager de
la plaine alluviale du bâti
et du maillage des
réseaux
qui les irriguent. Ils
sont composés des motifs qui leur sont organiquement liés :
l'ager
pourra
comprendre des cultures
extensives, des bocages, des parcs (parfois même
de la
vigne comme dans
la plaine alluviale orléanaise) ; le bâti comprendra
les modèles des villes-ponts,
des
bourgades
portuaires, des villages sur
terrasses et des fermes
isolées sur
monticules insubmersibles.
C'est, ici aussi, au travers de documents d'urbanisme
soigneu-sement
élaborés que seront réparés ou évités les brouillages dus
aux empiètements
anarchiques dûs à une occupation de l'espace trop
exclusivement
opportuniste et fonctionnelle.
3.1. La dynamique du
bâti, surtout
entre Saint-Just
et Veauche,
ne pourra
être maîtrisée que par une volonté fortement affirmée.
L'objectif premier
serait ici de revisiter et de
réhabiliter toutes les façades urbaines et centres
anciens donnant sur le fleuve, car elles sont les pièces maîtresses de
l'urbanisme ligérien. En conséquence, le lieu privilégié de
développement
de l'habitat, très dévoreur d'espace, devrait se situer en
retrait de ces
façades et centres anciens, sur les
terrasses,
mais en
aucun cas sur les
coteaux, qui devraient
conserver leur caractère naturel symétrique à celui
du fleuve.
3.2. La plaine
agricole, on l'a vu,
constitue un espace plus composé qu'on
ne l'imagine au seul vu de la carte. Le paysagiste Patrice
Pierron y a
reconnu les axes de
composition, les alignements de platanes et le
parcellaire agricole qui y ont été mis en place au XIX° et
suggère que ces
structures soient prises en considération dans les projets
de demain (voir p.
32). L'observation est à retenir, notamment dans le cas
de réhabilitation de
gravières. Dans
l'ager
en effet, leur situation
n'est plus la même que dans
le saltus du lit mineur. D'où les recommandations
suivantes quant à leur
localisation et leur réaménagement :
- prévoir un
recul par rapport aux berges qui permet de
maintenir une
exploitation du sol par l'agriculture, de conserver un
passage le long du
fleuve et d'avoir un accès à la Loire,
-
éviter les nouvelles extractions dans les chambons,
notamment ceux de
Balbigny-Nervieux-Mizérieux
jusqu'alors épargnés et
ceux d'Andrézieux,
très
réduits par les exploitations en cours,
- essayer, si exploitation il doit y avoir dans les
chambons, de ne pas situer
la gravière au "centre", mais de l'appuyer sur des
structures paysagères
existantes à conserver (haies, ripisylve, chemin, rupture
de pente...)
-
imaginer que le devenir des gravières puisse être demain
autre chose
qu'un espace "naturel" : par exemple un
parc ou
un jardin autour duquel
s'articulerait un projet
urbain. C'est
envisager aujourd'hui les extractions
dans des zones destinées ultérieurement à l'urbanisation
(réflexion à
croiser avec les POS ou les projets de territoires
communaux)
- définir précisément l'impact sur le paysage de chaque
projet de gravières
et surtout le devenir : espace naturel,
remise en culture après
remblaiement, parc, espace de loisirs, nouveau quartier
urbanisé...
(Pierron, 1998 : 46)
Chacun de
ces points mérite d'être pris en considération. L'idée
générale
est de toujours prendre en compte les motifs de naturalité
et de spatialité
de la charpente paysagère et d'assurer leurs continuités en
modèles
complets par leur valorisation spécifique et leur
parcourabilité - en d'autres
termes d'assurer la coexistence
de ces motifs et modèles en un espace
public ouvert à tous depuis le saltus
des coteaux
jusqu'à celui du fleuve en
passant par les formes locales spécifiques du bâti et des
cultures.
3.3. Le maillage des réseaux constitue, indépendamment même de la
problématique de réaménagement des carrières,
une
préoccupation
majeure de tout projet d'aménagement. Il y va en effet du maintien des
continuités entre les motifs de la charpente paysagère.
Notre époque est marquée par des
occupations de l'espace trop
fréquemment soumises aux seuls critères de l'opportunité
foncière et/ou
de la pure fonctionnalité. Ces deux critères aboutissent
toujours à un
dépeçage de
l'espace, dont la
parcourabilité se heurte à trop d'obstacles et
dont d'importants fragments tombent alors en déshérence, ne
méritant
plus le nom d'espace public et se trouvant exposés à tous
les risques
inhérents à leur marginalisation : appropriations,
décharges et pollutions
sauvages, dégradations occultes de toutes sortes, etc...
Cette situation a trop
souvent abouti à la marginalisation et à la détérioration
du fleuve luimême,
dont on a trop bien dit qu'on lui a "tourné le dos" depuis
la fin de
la batellerie. Le rétablissement de
telles continuités spatiales, trop
longtemps négligées, ne peut être aujourd'hui que le
résultat d'une
volonté affirmée. D'où
les propositions du paysagiste Patrice Pierron
(Pierron,
1998 : 42), qui
rejoignent celles de tous les paysagistes qui ont
oeuvré sur la Loire, ainsi qu'on le verra dans les
chapitres suivants.
On notera que cette proposition relative aux réseaux
s'inscrit dans une
préoccupation omniprésente sur le territoire
national. La demande
en
créations de circulations douces
pour les piétons et les cyclistes, qui est le
pendant à l'aménagement des infrastructures routières qui a
marqué les
dernières décennies, est de plus en plus fréquente et
constitue un volet de
plus en plus important de l'urbanisme paysager.
INDEX DES COMMUNES
CLASSEES PAR ORDRE
D'APPARITION
D'AMONT EN AVAL
Le Puy-en-Velay-43-Haute-Loire
Brives-Charensac
Aiguilhe
Chadrac
le Monteil
Chaspinhac
Lavoûte-sur-Loire
Saint-Vincent
Beaulieu-sur-Loire
Vorey
Roche-en-Régnier
Chamalières-sur-Loire
Retournac
Beauzac
Monistrol-sur-Loire
Bas-en-Basset
La Chapelle d'Aurec
Malvalette
Aurec-sur-Loire-43-Haute-Loire
Saint-Paul-en-Cornillon-42-Loire
Unieux
Fraisses
Caloire
Chambles
Saint-Rambert-sur-Loire
Saint-Just-sur-Loire
Andrézieux-Bouthéon
Saint-Cyprien
Bonson
Veauche
Veauchette
Craintilleux
Rivas
l'Hôpital-le-Grand
Cuzieu
Unias
Boisset-lès-Montrond
Montrond-les-Bains
Saint-Laurent-la-Conchère
Magneux-Haute-Rive
Marclopt
Saint-André-le-Puy
Chambéon
Feurs
Civens
Cleppé
Epercieux-Saint-Paul
Mizérieux
Nervieux
Pouilly-lès-Feurs
Balbigny
Saint-Georges de Baroilles
Pinay
Saint-Jodard
Saint-Paul-de-Vézelin
Saint-Priest-la-Roche
Bully
Cordelle
Saint-Maurice-sur-Loire
Saint-Jean-sur-Loire
Villerest
Commelle-Vernay
Le Coteau
Roanne
Perreux-42-Loire
Source : Alain Mazas,
Paysagiste DPLG - Typologie paysagère de la vallée de la
Loire - DIREN Centre -1999