Typologie
paysagère de la vallée de la Loire
LA
HAUTE VALLÉE
La Haute Vallée
de la Loire court depuis sa source (1375m), au
Gerbier
de
Jonc (1554m),
jusqu'au premier des bassins sédimentaires qui en marquent
le cours, le bassin du Puy-en-Velay. Entre temps elle aura
parcouru une
dénivelée de près de 800m, ne se trouvant plus qu'à 592m de
son
embouchure, et ayant accueilli les affluents de
l'Aigue-Nègre, la Padelle, le
Vernazon, le Gage, la Veyradeyre, l'Orcheval, la Méjeanne,
l'Ourzie, la
Colence, la Gagne de Cayres, la Laussonne, la Gagne
d'Arcône.
On peut y
distinguer quatre séquences principales :
du Gerbier
de Jonc à
Rieutord ; de Rieutord au lac d'Issarlès ; d'Issarlès à
Salettes et de Salettes à
Coubon.
I. TOPOGRAPHIE ET MORPHOLOGIE DES PAYSAGES DE LA HAUTE
VALLÉE
1. Aux sources de la Loire.
"La Loire
prend sa source au Mont Gerbier de Jonc
(1554m)". La
petite
phrase que nous connaissons tous ne précise pas que cette
source est une
toute petire mare d'où coule un mince filet d'eau
aboutissant par un tuyau,
dans la ferme de
la Loire (1375m),
à une auge qui servit longtemps à
abreuver les porcs... Elle ne précise pas que cette source
fait débat. Sur place,
mais aussi dans les opinions des spécialistes. Certains
s'étonnent que la
source de la Loire ne soit pas celle de l'Aigue-Nègre,
son premier affluent,
quelques kilomètres plus bas, combien plus importante par
son débit. Paul
Joanne considère cet affluent comme le "véritable commencement du
fleuve",
"sa vraie branche
mère" (Joanne,
1896 : 2236). D'autres vont
beaucoup plus loin, par exemple Pierre Deffontaines et
Mariel Jean-
Brunhes Delamarre : "en réalité celle-ci (la Loire) prend
naissance vers
1400m, dans les 'narces' ou prairies humides, non loin du
hameau des
Estables, situé près du Mont Alhambre (1695m)..."
(Deffontaines al., 1945 :
276), ce qui fait
naître la Loire au pied du Mont Mézenc...
Les plateaux du Vivarais voient ensuite s'écouler les
premiers kilomètres
de notre plus grand fleuve. Les paysages qu'il traverse ne
font pas non plus
l'unanimité... Un premier paysage, représenté par une carte
postale du
début du siècle, présente un paysage minéral et aride dans
lequel on aurait
peine à trouver un autre motif d'intérêt que
le Mont
lui-même, mis à
part
un vague chemin, une ancienne draille peut-être, qui se distingue à peine
de la pierraille environnante. Un deuxième, une autre carte
postale de la
même époque, présente un paysage encore dominé par le Mont
mais dans
lequel figurent deux autres motifs : un bouquet d'arbres
et une ferme - si
bienvenue sur ce plateau dénudé! Le troisième est une
lithographie. Elle
présente non seulement les motifs précédents mais plusieurs
autres :
vallonnements, prairies pâturées,
animaux accompagnés de leurs bergers,
et
enfin la toute
jeune Loire dans
ses gorges naissantes...
Trois documents, trois paysages bien différents. Vidal de
la Blache pourrait
légender le premier : "un laboratoire de phénomènes
violents".
Gallouédec
soulignerait plus volontiers son caractère humanisé
puisque "l'on n'y
a
presque nulle part l'impression d'un pays
désert"! Points
de vue
inconciliables? Non puisqu'ils existent bien sur le
terrain, à partir de points
de vue différents. L'auteur de la lithographie l'a bien
compris, lui qui
synthétise les deux visions et organise une composition
imaginaire mêlant
l'humain à une atmosphère "ensauvagée" par un ciel d'orage,
et
exprimant déjà les deux facettes du mythe ligérien, un
fleuve "sauvage" et
cependant toujours humanisé...
2. Les gorges des
hautes vallées
Elles commencent
en aval de Rieutord
:
"Il s'agit
maintenant pour le fleuve naissant de descendre du plateau
natal
; la Loire se tord et retord, sur la roche primitive, mais
au pied de longues
coulées de basalte ; sa gorge s'approfondit, la hauteur de
son lit au-dessus
des mers s'abaisse rapidement (...) au pied d'un talus
haut, escarpé, qui
suspend à plus de 100m au-dessus de son lit le magnifique
lac d'Issarlès,
l'un des plus profonds de France" (Joanne, 1896 : 2236)
Un peu plus
bas, sous le Rocher du Ceylar, elle entrera dans le
département
de la Haute-Loire par d'autres gorges qui se prolongeront
sans interruption
d'Arlempdes
jusqu'à Serre-de-la
Farre. La vallée se
creuse alors dans les
plateaux de granite recouverts des
coulées
basaltiques du
Brignon, de Solignac, de Collandre, où subsistent
sucs et gardes, ces petits volcans facilement
identifiables. Les plateaux, sur
la rive gauche, se terminent généralement par des
abrupts
extrêmement
typiques. Les autres pentes, raides, constituées par les
éboulis des falaises de
basalte ou par
les affleurements
de granite, sont
généralement boisées, alors
que quelques autres, plus douces, principalement sur la
rive droite,
correspondent aux sables argileux tertiaires
(EPALA, 1984)
Mais plus
encore que par leurs profils, c'est par la nature
granitique ou
basaltique de leurs roches que les gorges jouent un rôle
déterminant dans
le caractère le plus
fondamental du fleuve tout entier : son imprévisible
irrégularité.
"Tout au
long de ses 1025 kilomètres, la Loire est un terrible
modèle
d'irrégularité désastreuse : et cela par l'imperméabilité
d'une grande partie
de son bassin... Dans la moitié du versant ligérien, ou peu
s'en faut, les
eaux tombées en goutelettes ou celles que l'ouragan jette
en cascades
s'enfuient dans une course vertigineuse et le sol ne les
boit pas au passage ;
qu'il pleuve longtemps ou en brève averse, par un orage
noir ou dans une
souriante ondée de printemps, entre deux soleils ou pendant
l'astre,
chaque pli de ces terres sans porosité rassemble un
torrent, chaque ravin
concentre un fleuve, et ces déluges s'écroulent sur la
Loire. Tous les ans, et
souvent plusieurs fois l'an, la Loire mène autant de flots
qu'un grand
fleuve d'Asie, d'Afrique ou d'Amérique..." (Reclus, O.,
1904 : 686 )
C'est en
ces termes qu'Onésime Reclus inaugure son chapitre sur la
Loire,
dans Le plus beau
royaume sous le ciel, remarquant au passage que
"...si les
divinités topiques alliées aux puissances de l'air en
avaient fait un courant
plein, profond, régulier, fécondant, bienfaisant, c'est sur
sa rive et non sur
celle de la Seine qu'aurait grandi la ville royale,
impériale et nationale"
(Reclus, O., 1904 : 685). Ce disant, il rejoint l'opinion de son
frère Elisée, qui
estimait que le grand fleuve avait "plus que tout autre province,
contribué
à la naissance et au développement de la nation" (Reclus,
E., 1881)
3. La forêt et ses
fantasmes
Autant
la forêt
est éparse sur les hauts
plateaux ardéchois, autant elle est
omniprésente dans les gorges. Elle est comme la toile de
fond du paysage,
sur laquelle se détachent les motifs des
abrupts
et des parois rocheuses, des
prairies et des cultures, des fermes
et des villages, qui focalisent l'attention.
Peut-être est-ce là la raison pour laquelle elle est si peu
mentionnée dans
les études et publications relatives à ces hautes vallées.
Tout se passe un
peu comme si nous nous en tenions éloignés, comme s'il nous
était
nécessaire de prendre du recul par rapport à elle. Nous
sommes des gens
d'essarts et de clairières, la forêt est peut-être le
sanctuaire de trop de
fantasmes dont nous voudrions, sauf exception, être sortis.
Au premier
rang de ces fantasmes celui de la jungle, le même qui nous
visite parfois
sous une autre forme dans ce milieu urbain dont quatre
vingts pour cent
d'entre nous cherchent désormais à s'affranchir lorsqu'ils
"retournent aux
sources". Il nous faudrait en somme des forêts bien
apprivoisées, comme
celles que se sont aménagés les citadins de la capitale,
Fontainebleau,
Rambouillet, Montmorency, et encore. Tel n'est pas le cas
ici. Il suffira
d'emprunter tel chemin ou tel sentier et de s'y aventurer
pour s'en
assurer. Mais d'autres s'occupent de la forêt et la
surveillent de près, les
forestiers. Ne dit-on pas que depuis son extension et le
développement de
sa qualité, elle joue un rôle prépondérant de tampon lors
des grands orages
de l'automne et des grandes fontes de printemps, et donc de
régulation des
crues du fleuve?
II. LES CARACTÈRES DES
PAYSAGES DE LA HAUTE VALLÉE
1. Aux sources de la Loire : un lieu mythique
Le mont Gerbier de Jonc est un lieu mythique, au même titre que
le plateau
de Langres et bien d'autres lieux illustrés par nos manuels
scolaires, nos
guides et nos livres d'images. La fréquentation de son site
se comprend
aisément dans la mesure où il est partie intégrante de
notre patrimoine
paysager national, et bien qu'il soit fréquemment source de
déception.
L'ethno-sociologue Martin de la Soudière cite à ce sujet
les réactions les
plus représentatives d'une enquête menée à la fin des
années 80. Elles sont
quasi unanimes. Le Gerbier n'est qu'une "petite montagne, nue", "juste un
petit piton", "un tas de cailloux", "une boule posée sur le
plateau", "un
sein", "une verrue", "un machin"...
Comment
expliquer alors l'importance de sa fréquentation, 200 à 300
000
visiteurs par an?
"Comme le
montre a contrario la faible fréquentation d'autres lieux
de
notre géographie scolaire (le plateau de Langres ou celui
de Millevaches par
exemple), le registre patrimonial ne suffit pas à lui tout
seul à expliquer le
succès du Gerbier. Celui-ci recèle d'autres pouvoirs de
séduction. D'abord la
double énigme qui s'y rattache : celle d'une étymologie
(Gerbier? Jonc?), et
celle d'une localisation (quelle est la "vraie " source?).
Ensuite, la rencontre
d'une série de motifs, de topoï : source, fleuve, sommet,
sur un même site.
Source qui fascinait déjà le voyageur, et aujourd'hui
toujours le touriste.
Fleuve, mais pas n'importe lequel : la Loire, à l'honneur
de laquelle fut
dessiné au début du siècle un projet de sculpture. Sommet,
enfin, dont
l'origine volcanique le rend plus que tout autre propice au
rêve et stimule
l'imaginaire.
Mais, plus encore que le pouvoir évocateur de chacun de ces
motifs, leur
conjugaison sur un même espace contribue fortement à
expliquer l'aura
qui entoure le site. Le Gerbier c'est en effet la
conciliation de deux
contraires, la réunion de deux symboliques : celle de l'eau
et celle du
sommet. Sans le paradoxe de leur proximité, ce lieu
perdrait de son
mystère, de son attrait..." (Soudière,
1995 : 81)
Il y a donc
beaucoup à voir sur le Gerbier, trois grands motifs de
paysage et
leur pouvoir sur l'imaginaire : le fleuve, le sommet
et la source. Pris un
par un, leur est effet est déjà considérable. Leur
conjonction en un même
lieu apparemment si déshérité l'accroît encore.
Le
sommet attire
toujours
puissamment dans la mesure où il touche au ciel et où celui
qui l'a gravi
est rempli d'un sentiment de puissance venant de
l'ascension, qui est une
conquête, et de ce qu'elle permet : l'appropriation du pays
par le regard,
emblématique de l'expérience paysagère, et très
anciennement réservée au
seul roi. La
source est tout
aussi attractive. La poésie des sources tient
probablement à ce qu'elles sont ressenties comme des dons
très purs, le
symbole même du don désintéressé. De ce fait leur
expérience est celle d'un
renouvellement, d'une régénération, d'une renaissance au
propre et au
figuré : la source a toujours quelque chose de miraculeux.
Cette expérience
est renforcée ici par l'étonnante minceur du tuyau d'eau
qui est pourtant à
l'origine de notre plus grand fleuve ; par le fait que ce
filet si ténu ne s'est
jamais tari ; par le fait enfin qu'elle sourd au pied d'un
vieux volcan, sans
le moindre névé, sans la moindre neige éternelle où l'on
puisse discerner
quelque chose comme une réserve, quelque explication
tangible du
jaillissement ininterrompu. Ce que l'on vient honorer, à
travers cette
petite source insignifiante, c'est en somme une sorte
d'énigme qui la
dépasse : malgré toutes les apparences, c'est elle qui
donne naissance à ce
fleuve qui, par ses débits, se
compare parfois aux fleuves amazoniens.
2. Aux sources de notre Histoire : les voies de
transhumance, de commerce
et de pélerinage des hautes vallées
"... Ce
fleuve "mythique" qui connaît sur ses rives bien loin à
l'aval de
nombreuses populations bordières, voit les populations des
pays "doux" de
la basse Loire être très curieux et intéressés (...) par le
cours amont de ce
fleuve. Il y a là un vrai retour aux sources émanant de
personnes de tous
âges, qui viennent actuellement, souvent en chambres
d'hôtes ou petits
hôtels, pour découvrir la Loire Haute, ses gorges et
plateaux jusqu'à sa
source" (Varenne Consultants, 1994)
Le retour
aux sources est à comprendre comme un retour aux sources de
l'Histoire autant que du fleuve lui-même. Comme toujours
dans ces sites
de hauts plateaux et de hautes vallées, le sentiment d'y
revenir aux
origines de notre Histoire et de notre monde est
particulièrement fort. En
témoignent l'aspect sauvage et inhospitalier des gorges,
les vastes étendues
forestières, et les signes, rares mais forts, d'une
présence humaine très
ancienne dont on s'émerveille de voir qu'elle a pu se fixer
dans un tel
pays.
Arlempdes,
dans son admirable vallée,
est en quelque sorte le
premier des
châteaux de la Loire. Par son ancienneté en premier lieu. Il
remonte aux
temps quasi légendaires de Louis VII et de Philippe Auguste
et fait partie de
ces ruines féodales dont la hardiesse de la construction,
sur des sommets
déjà escarpés, motive immanquablement l'admiration. Pierre
parle de"la
géniale audace qui a permis aux seigneurs de ces lieux
d'assurer la
protection de la région ainsi que des voies marchandes et
pélerines.
Verrouillant le seuil de deux régions, le Vivarais et le
Velay, défendant
une voie de pénétration millénaire du Langudoc vers le
Centre, ce bastion
inviolable fut pourtant pris et repris lors des guerres de
religion..." (Pierre,
1997 : 24)
Ainsi se trouve brièvement résumé le rôle
joué par le site sur les voies de
communication de l'axe ligérien commençant ici. Ces voies
appartiennent
à un très ancien réseau, qui fait communiquer depuis des
millénaires deux
mondes : la Méditerranée d'un côté et l'Atlantique de
l'autre. Nous
sommes en Vivarais et bientôt dans le Velay, ces pays qui
virent très tôt
passer les troupeaux des grandes drailles, accompagnés de
leurs bergers, de
colporteurs, de pélerins, de commerçants de tout poil et de
guerriers, qui
savaient bien que les vallées conduisent toujours à la mer.
La poésie
particulière des ruines féodales est d'évoquer ces temps
révolus dans leur
ambivalence même. Temps mythiques de la chevalerie et de la
Table
Ronde où la grandeur et l'honneur le disputaient à la
sauvagerie et à la
félonie, les amitiés idéalisées à la traîtrise, l'amour
courtois à la brutalité la
plus vénale. Ces temps nous y tenons comme partie de notre
Histoire et il
est de plus en plus fréquent, aujourd'hui, de voir
restaurer les ruines et les
sites qui les évoquent afin d'en faire les lieux d'une
convivialité retrouvée.
3. Les gorges de la
Loire : un pittoresque inoubliable
Les gorges de la Loire : tel est le titre de l'itinéraire
proposé par Michelin,
du Vivarais au Forez en passant par le Velay. Unanimement
appréciées, les
gorges sont devenues emblématiques du pittoresque des
hautes vallées de
notre pays, par le double spectacle de leurs reliefs
tourmentés et de l'eau
qui les anime.
"Paysage
impressioniste, difficile à saisir, la Loire y joue à
'cache-cache"
(EPALA,
1987). On ne peut
mieux dire. On sait qu'une des constantes de la
Loire sera de jouer à ce jeu de cache-cache, que ce soit
ici, dans ces vallées si
étroites, ou plus tard, dans son Val si immense que le
regard s'y perd au
point, dit-on, qu'"on ne la voit jamais".
Quant à son caractère
impressioniste, on peut aller plus loin et parler d'un
caractère résolument
romantique. Spectacle étrange en effet, invraisemblable
parfois, que ce
monde en quelque sorte inapaisé, inachevé, en genèse, dans
lequel on a de
la peine à distinguer ce qui est stable, définitif, solide
et sûr de ce qui serait
fugace, éphémère, exposé à la destruction ou déjà détruit,
ruine, vestige,
simple trace. Ces falaises, ces abrupts, ces jaillissements
et ces éboulis ne
témoignent-ils pas de dynamiques très anciennes mais
toujours
menaçantes? Et ces végétations suspendues au-dessus du
vide? Et ces
bâtisses, qui couronnent les aiguilles et les serres?
Paysage qui aurait peutêtre
converti un Hugo et un Stendhal à la sombre beauté de la
Loire, et
devant lesquels les motivations se partagent entre le désir
de partir à la
découverte et le plaisir de simplement contempler le
spectacle en toute
sécurité à partir d'un nid d'aigle.
Spectacles du relief, spectacles de l'eau
:"Les méandres
encaissés du fleuve,
semés de ruines féodales, sont d'un pittoresque
inoubliable"
(Auvergne,
1997 : 404) La
rivière"se noue et
se dénoue en un perpétuel détournement"
(Joanne, 1896 : 2236). Mais l'image n'est pas ici celle d'une
rivière
insouciante qui perdrait son temps à
serpenter de droite et de gauche, au
gré de ses méandres. C'est celle d'une rivière déjà
puissante, qui s'enfonce
avec détermination dans le basalte et le granite en
contournant les obstacles
pour mieux les franchir. Entre les défilés étroits et
invisibles, son cours
s'élargit parfois comme pour se ménager quelques instants
de répit, puis la
progession reprend. Dans nos paysages, les motifs de l'eau
courante sont les
seuls, à part les météores, à être doués de mouvement.
C'est pourquoi ils
ont toujours quelque chose de fascinant et entraînent
l'imaginaire vers des
ailleurs toujours renouvelés. On retrouvera ce trait sur
tout le cours du
fleuve, dont maints ligériens disent : "En Loire, je suis toujours
ailleurs".
Ici ce sont le torrent, les rapides, les cascades. Ils
témoigent de la force
irrésistible qui habite le fleuve. Et ils n'acceptent de
fréquentation humaine
que mesurée, prudente, distante.
"Ces
paysages sont sauvages, méconnus pour ne pas dire inconnus,
à part
le mythique Gerbier de Jonc. A ces paysages forts, sauvages
et beaux, faits de
gorges, de plateaux, de buttes volcaniques, d’orgues,
on aura soin d’associer
le patrimoine culturel bâti, qui vient ici ou là souligner
l’empreinte de
l’homme et son appropriation dans le temps... et tout
particulièrement, les
sites défensifs divers, les châteaux, etc...”
(Varenne consultants, 1994)
Le patrimoine culturel
bâti, dont on a vu un
exemple majeur avec
Arlempdes, comprend aussi les motifs de l'architecture
locale, elle aussi
originale et recherchée. En pays vellave, la leçon de la
pierre est d'abord
celle des couleurs :
"La maison
vellave est originale par sa maçonnerie en moellons bruts
où
domine la lave grise ou
rouge foncé en terrain volcanique,
le
granite gris
clair en
terrain ancien, l'arkose
jaune en
terrain sédimentaire. Les blocs de
pierre sont cimentés d'un mortier souvent pétri avec
de la pouzzolane,
gravier volcanique rougeâtre" (Michelin, 1995 : 35. C'est nous qui
soulignons les motifs)
Quant aux
formes, elles sont simples et massives, comme s'il
s'agissait de
faire le dos rond sous la burle. Les ouvertures sont peu
nombreuses, les
pièces rassemblées en un seul niveau, au sol. Quant aux
regroupements, ils
semblent affectionner la liberté, le désordre, la
fantaisie. Cependant
l'organisation des villages reflète l'ordre de la vie
collective :
"Le village
s'organise autour d'un espace libre,
le
"couderc",
appartenant à
la communauté, à la rencontre des
chemins. Au
centre, la croix du
village,
ou la
fontaine qui
sert de lavoir et d'abreuvoir avec ses grands
"bachats"
de
pierre, le métier à
ferrer est
installé à proximité, le four
banal également où
les villageois cuisaient le pain.
Cet ensemble de petits édifices est complété
par l'Assemblée du
village dite
"Maison de la
béate", typique du Velay, qui se distingue
par un clocher et
une croix de façade. Il s'agit d'une maison construite par
les habitants, qui
était le lieu de réunion, de chapelle, d'école, et
d'habitation de la "béate",
religieuse au service de la
collectivité (très répandue au XVIII° siècle, en
déclin au XIX° avec les lois Jules Ferry)"
(Pezziardi-Benoît, 1993. C'est nous
qui soulignons les motifs)
III. LA LISIBILITÉ DES
PAYSAGES DE LA HAUTE VALLÉE
1. La coexistence des modèles de lecture des paysages
Si les gorges de
la Loire ont conservé un grand attrait, c'est qu'elles
permettent à plusieurs modèles de lecture du paysage de
coexister sur les
mêmes espaces. D'où leur grande lisibilité pour les publics
les plus
différents, qui y trouvent des réponses à leurs points de
vue particuliers.
Ici, ces modèles de lecture sont historiques, mythiques,
pittores-ques,
artistiques même aux yeux de certains. Mais il en existe
d'autres, qui sont
longtemps restés pour ainsi dire cachés, et que seule
l'actualité récente a
révélés comme désormais essentiels dans la lisibilité des
paysages ligériens
: les modèles
scientifiques, et notamment écobiologiques.
Ces modèles
n'avaient pas attiré l'attention jusqu'à récemment dans la
mesure où ils n'apparaissaient pas menacés. Les modèles de
l'espace bâti,
de l'occupation du sol et des réseaux organisés par les
générations qui nous
ont précédés coexistaient en effet sans heurts ni blocages
apparents avec les
modèles naturels en place. La menace n'est apparue que
récemment avec
l'évolution de la sensibilité contemporaine en matière
d'environnement.
2. Le barrage de la
Palisse : l'image de la noyade
La façon dont ce
barrage, pourtant ancien, est présenté au grand public par
le guide Michelin, qui se veut lui-même un modèle de
lecture des
monuments et des paysages, est caractéristique de cette
évolution :
"A l'oeuvre
de la nature s'est ajoutée celle des hommes. Des barrages
noient la vallée primitive ..." (Michelin, 1995 : 94)
L'image de
la noyade de la vallée primitive, avec l'aura de pureté et
d'authenticité qui l'entoure, ne sont pas neutres. Elle
témoigne que, dans le
cas des barrages, la lisibilité des paysages est
atteinte. Et il est de
fait que les
retenues de barrage n'ont jamais vraiment accédé chez nous
au rang de
motifs de paysage. Les guides les mentionnent, mais ne s'y
attardent guère,
à de rares exceptions près, dans la mesure où elles ne
parviennent pas à
donner l'image d'un vrai lac. Sur l'ensemble des gorges de
la Loire, seul
Grangent fait exception, au bénéfice sans doute des
vestiges de son château
et de sa petite chapelle aux tuiles
rouges (Michelin, 1995 : 96). Quant aux
zones de marnage, si apparentes à l'étiage, elles achèvent
d'affaiblir leur
valeur par leur aspect rebutant, lié à celui de l'ouvrage
de béton qui
apparaît alors sur des hauteurs parfois considérables.
3. Le projet de barrage
de Serre-de-la-Farre : les ruptures de chaînes
vivantes
C'est ce projet
qui aura montré avec le plus d'évidence, et pour ainsi dire
révélé au grand public, l'incompatibilité des modèles de
maîtrise technique
du fleuve par les barrages avec les autres modèles,
scientifiques ou non,
rendant ainsi raison à nombre de géographes qui, depuis
Léonard de Vinci,
avaient toujours considéré barrages et levées comme
incompatibles avec la
vie du fleuve sous toutes ses formes, tant végétales
qu'animales et
humaines.
La nouveauté, dans le cas de Serre-de-la-Farre, fut sans
doute la mesure de
l'impact d'un tel aménagement sur le milieu physique, c'est
à dire le
modèle écobiologique en place :
"Les
barrages modifient le cours des rivières, perturbent la
qualité physicochimique
de l'eau et sont un facteur souvent important
d'eutrophisation.
De plus ils modifient les écosystèmes aquatiques et
s'opposent à la
migration des espèces. En outre l'existence d'une conduite
forcée peut
endommager une portion de la rivière : cas du barrage de
Lavalette qui
assèche 11 à 17 km de cours d'eau, et fait perdre au bassin
versant du
Lignon une partie de ses ressources ; cas du barrage de la
Palisse qui dérive
une partie des eaux du bassin de la Loire vers celui du
Rhône. (Tilliard-
Blondel, 1991)
Ces
quelques lignes mentionnent une demi-douzaine d'impacts
proprement environnementaux qui tournent tous autour des
notions de
ruptures d'équilibres et de dégradations, biotiques et
abiotiques. Ces
ruptures sont des ruptures
d'enchaînements interactifs, et notamment de
chaînes vivantes. Ce
sont surtout ces dangers touchant à la vie qui ont
finalement amené à renoncer au barrage et à se poser les
questions
suivantes sur la compatibilité entre les retenues et le
souci de
l'environnement :
- toutes les
usines actuelles ont-elles bien lieu d'exister, et n'y
a-t-il pas un
seuil de production en deçà duquel la préoccupation
environnementale
doit prendre le dessus?
- pour les usines rentables, productives, quelles actions
engager pour
réduire au minimum l'impact dégradant ?
Sur la première question, on remarquera qu'il existe en
Haute-Loire
beaucoup de micro-centrales effectivement peu productives,
disséminées
sur de nombreux cours d'eau, parfois très petits (La
Haute-Loire compte 46
usines hydro-électriques dont 11 pour E.D.F. G.R.P.H
produisant environ
30% de la consommation du département. Le reste des usines
appartient à
des producteurs privés : 35 usines produisant près de 4 %
de la
consommation totale du département). Il faudra dans les
années à venir se
poser la question du renouvellement ou non de
l’autorisation
d'exploitation de ces petites unités en tenant compte à
chaque fois de
l'impact quantitatif et qualitatif sur le milieu. Exemple
de Saint-Etiennedu-
Vigan : c'est un petit barrage sans échelle à poisson dont
la concession
expire en 1994. La concession ne devrait pas être
renouvelée et la
démolition du barrage est en projet).
Sur la deuxième question, c'est-à-dire pour les barrages à
forte productivité,
la question est de savoir par quels moyens limiter leur
impact. Les mesures
suivantes sont proposées :
- augmenter le volume des débits réservés (les débits
réservés des barrages
de l'Allier sont en discussion dans le cadre du contrat de
rivière de l'Allier
- par exemple à Poutès Monistrol passer à 2,5 m3/s au pied
du bassin). Il
serait d'ailleurs très utile d'augmenter le débit réservé à
l'aval du barrage
de Lavalette. Les négociations avec E.D.F. sont par
ailleurs difficiles.
- parvenir à un rejet de qualité. Les barrages sont des
lieux privilégiés
d'eutrophisation : gros volume de sédiment, eaux plus ou
moins
stagnantes. Une étude du barrage de Lavalette est en cours,
dirigée par le
service Environnement de la ville de Saint-Étienne. Les
barrages polluants
doivent être recensés en Haute-Loire (analyse de qualité)
et les problèmes
traités.
- permettre le passage des saumons (problème du barrage de
Poutès-
Monistrol) (Tilliard-Blondel, 1995)
Il s'agit
en somme des grands équilibres et des conditions
d'apparition et de
maintien de la vie sous ses formes les plus variées, des
plus apparentes aux
plus fragiles et microscopiques. Ce n'est pas en soi une
découverte, c'est
plutôt une redécouverte et elle s'inscrit dans un débat
beaucoup plus vaste
auquel le grand public est désormais sensibilisé. Tous les
projets
d'aménagement de ce type sont dès lors soumis au feu croisé
des points de
vue les plus divers et soumis au crible de la critique la
plus vive.
IV. LA PROTECTION ET LA
MISE EN VALEUR DE LA HAUTE VALLÉE
1. Une opération Grand Site au Gerbier de Jonc?
La question est
en effet posée par certains au vu de l'affluence dont le
site
est l'occasion en haute saison. Il serait effectivement
intéressant de
pouvoir éviter que les inévitables problèmes de
stationnement et
d'exploitation touristique puissent être réglés ailleurs
qu'en covisibilité
avec le Gerbier lui-même.
2. La dynamique
touristique
Varenne
Consultants, dans son étude de 1994, mentionne
l'attractivité de
la Loire des hautes vallées. Une dynamique relativement
récente s'y est
établie, marquée par le développement des chambres d'hôtes
et des petits
hôtels et le doublement, depuis 1968, du parc des
résidences secondaires. A
Salettes,
comme en aval sur Goudet
et Lafarre,
on compte un logement sur
deux en résidence secondaire. Le mot-clé est ici celui de
restauration du
patrimoine bâti, afin de répondre à l'intérêt porté à la
pierre, dont les
motifs sont si typiques du pays vellave.
D'où les recommandations suivantes :
“Si
Arlempdes est un site exceptionnel, d’autres sites
non mis en valeur,
présentent aussi des qualités remarquables, notamment les
sites de Goudet
et
de Bouzols
“Pour tous ces sites bâtis
relevant de l’architecture militaire et de
l’histoire
de cette région, il conviendrait de travailler très
sérieusement à leur mise
en valeur- recherche et écriture de l’histoire des
châteaux de la Loire Haute,
- publication d’un opuscule, clair, de grande
vulgarisation,
commercialisable sur tous les sites, et dans ce
département, peu cher
(moins de 50F)
et parallèlement :
- mise en place d’une signalétique adaptée - à partir
des axes de desserte de
ces sites et notamment à partir de la RN 88, du Puy, et de
l’Ardèche (le
Monastier et le Mézenc inclus)
- mise en place d’une signalétique cohérente et de
descriptifs et explicatifs
- aménagement de points de vision, et lecture du paysage,
en liaison avec
les RIS et le plan de signalisation départemental.
- accessibilité des sites: parkings, chemins d’accès
- un vrai point noir restant encore à résorber : la
présence plus que
prégnante et polluante (visuelle et olfactive) d’un
nombre impressionnant
de décharges ...” (Varenne Consultants, 1994 )
3. La dimension
paysagère des routes
Ces routes ont
joué le tout premier rôle dans l'humanisation du pays.
Comme dans de nombreux sites qui évoquent les origines de
notre
histoire, elles ont souvent été construites sur des
itinéraires très anciens,
ont souvent acquis par là une valeur
historique, et
mériteraient parfois
d'être classées.
Les guides touristiques les connaissent bien, puisqu'ils
sont des invitations
au voyage par la route et leur attribuent des valeurs
particulières en
fonction de leur caractère pittoresque. Prenant soin de
rechercher le
meilleur compromis entre les parcours les plus confortables
et ceux qui
offrent les meilleurs points de vue sur le paysage, ils
nous font souvent
découvrir nos routes elles-mêmes comme de véritables motifs de
paysage.
Les peintres le savaient déjà, eux qui, depuis des siècles,
ne se sont pas
lassés de les représenter, et jusqu'aux plus petits chemins
de campagne,
jusqu'au moindre sentier dans les herbes folles. Peu
soucieuses d'aller au
plus vite et au plus pressé, elles aiment faire ce qu'il
était convenu
d'appeler l'école buissonnière, passer dans des lieux
retirés, inconnus,
parfois sauvages, se promener, flâner. Ne prétendant jamais
avaler les
obstacles et passer en force, comme trop d'autoroutes le
font encore, elles
savent au contraire respecter le terrain, composer avec
lui, en épouser les
contours et les sinuosités, grimper sur les hauteurs et
dévaler les pentes, se
glisser au besoin dans les gorges et les défilés lorsque le
désir de voir et
d'admirer l'emporte sur les risques. Elles sont, selon le
mot de Fernand
Braudel "les plus
belles du monde : magnifiquement établies, elles suivent
les sinuosités et parlent le langage précis du relief"
(Braudel, 1986 : 21).
A l'âge des autoroutes, prendre "les petites routes" est
devenu tout un
programme. Dans la Haute vallée, ce sont surtout les routes
départementales suivantes qui ont été remarquées
pour leur valeur de
découverte des paysages (Michelin, 1998, Carte routière et
touristique n°
239) :
la 378, au Gerbier de Jonc,
les 116 et 16 entre le Béage et Coucouron,
la 37 entre Issarlès et Goudet,
la 54 entre Montagnac et Vielprat,
la 49 entre Montagnac et Saint-Martin-de-Fugères,
les 27, 54 et 38 entre Chadron et Coubon.
Ce sont donc ces routes qu'il convient de prendre comme
modèles et de
maintenir dans leurs
tracés et leurs dimensions actuelles.
4.
La
stratégie de prévention des crues d'après l'exemple de
l'aménagement
de la Loire à Brives-Charensac.
A la suite de la
crue catastrophique de Brives-Charensac, le 21 Septembre
1980, et de l'abandon du projet de retenue de
Serre-de-la-Farre, un concours
européen fut organisé sur les bases d'un cahier des charges
alliant les
objectifs de sécurité et de qualité environnementale. Le
lauréat en fut le
groupement comprenant le BCEOM pour la conception
hydraulique et la
coordination du projet, le cabinet CANTAL-DUPART pour les
aspects
architecturaux et MEDIACITÉ pour la communication.
"L'aménagement de la Loire à
Brives-Charensac constitue l'une des
premières actions d'envergure engagées par l'Etat dans le
cadre du "Plan
Loire Grandeur Nature".
Les travaux actuellement en cours de réalisation
correspondent à un choix
technique qui associe protection contre les crues et
valorisation du site.
C'est-à-dire à une volonté de mettre en harmonie l'homme et
la nature
rassemblés dans l'environnement du fleuve et de ses abords.
Pour ce faire, il convenait de réaliser un principe de
protection contre les
crues qui soit compatrible avec la réhabilitation du
milieu.
L'amélioration des écoulements sans endiguement du fleuve
constitue
l'idée directrice de ce projet qui, en autorisant toute
possibilité
d'aménagement, favorise le développement de nouvelles
relations entre la
ville et le fleuve." ( Dumay, 1996 : 103)
Ainsi
résumée, la stratégie de prévention des crues a conduit aux
principales opérations suivantes :
- le déroctement du fond du lit mineur pour supprimer les
seuils naturels
qui constituent un obstacle important à l'écoulement
(Dumay, 1996 : 106)
- les
aménagements liés à la valorisation du site et menés par
une équipe
pluridisciplinaire élargie à tous les acteurs locaux
(Dumay, 1996 : 106)
INDEX DES COMMUNES
CLASSEES PAR ORDRE
D'APPARITION
D'AMONT EN AVAL
Le Mont-Gerbier-des-Joncs
Sainte-Eulalie
Rieutord
Usclades-et-Rieutord
La Chapelle-Graillouse
Issarlès
Lafarre
Salettes
Arlempdes
Goudet
Saint-Martin-de-Fugères
Chadron
Solignac-sur-Loire
Cussac-sur-Loire
Coubon
Source : Alain Mazas,
Paysagiste DPLG - Typologie paysagère de la vallée de la
Loire - DIREN Centre -1999