Typologie paysagère de la vallée de la Loire
LA LOIRE ARMORICAINE
A Angers la Loire sort des calcaires Nord et Sud du Bassin parisien et
pénètre dans les terres granitiques du Massif armoricain. Elle y fraie un
chemin qui, de l'Anjou blanc du tuffeau à l'Anjou noir des ardoisières,
l'engage bientôt, à partir d'Ancenis, dans le resserrement qui la conduira à
Nantes et à son estuaire. Cette frontière géologique se double d'une autre :
celle qui sépare l'Anjou et le département du Maine-et-Loire, à l'Est, de la
Bretagne, au Nord, et de la Vendée, au Sud, dans le département de la
Loire-atlantique. Au centre de cette configuration la ville de Nantes est le
grand carrefour qui est autant passage que frontière, comme le fleuve lui-même,
entre les particularités ligériennes du Val armoricain et de
l'estuaire qui le sépare de l'Océan et les particularités régionales de ses
rives droite et gauche. Sur la rive droite, c'est à Ingrandes, qui signifierait
en celtique "ville frontière", que commence la Bretagne, tandis que, sur la
rive gauche, le plateau des Mauges puis la Vendée ont déjà quelque chose
de méridional.
Sur cette dernière séquence, la Loire aura reçu
la Maine, très courte rivière,
longue de 10 kms seulement mais large de 100m, formée de la Sarthe, de la
Mayenne et du Loir, et plus gros affluent du fleuve par l'importance du
bassin draîné (plus de 2 millions d'hectares), avant la Vienne elle-même.
Viennent ensuite
l'Aubance, le Layon, le Rome, l'Evre, la Grée, le Havre,
la Divatte, l'Erdre et la Sèvre Nantaise.

I. TOPOGRAPHIE ET MORPHOLOGIE DES PAYSAGES DE LA LOIRE
ARMORICAINE
1. Le Val armoricain
1.1. D'autres levées.
Il peut paraître paradoxal de présenter la topographie et de la morphologie
du Val armoricain en commençant par les levées de la Loire et avant
même d'évoquer ses reliefs naturels, pourtant remarquables. Elles
méritent cependant d'être mentionnées ici en priorité parce qu'elles
présentent des originalités très marquées par rapport aux autres et
notamment par rapport à la Grande Levée, celle de la Grande Vallée, dont
elles ne sont pourtant séparées que de quelques kilomètres. En effet,
première originalité, alors que celle-ci est la plus ancienne et, à ce titre, le
modèle imité et adapté par la suite jusqu'en Loire berrichonne,
celles-là
figurent parmi les dernières de toutes
puisque leur construction s'étend
sur soixante ans seulement, entre 1785 et 1856, année qui vit aussi
l'achèvement de Thareau, la dernière levée en amont de Decize (voir p.
51). Autre originalité :
ces levées sont discontinues, rive droite comme rive
gauche. La première relie Savennières au pont de Montjean sur la rive
droite. La deuxième relie Montjean à Saint-Florent-le-Vieil, sur la rive
gauche. La troisième, celle de la Divatte, sur la même rive, relie La
Chapelle-basse-Mer à Basse-Goulaine, aux portes de Nantes. Comment
expliquer de telles différences dans cet Anjou que l'on peut considérer
comme le berceau des longues levées discontinues? La réponse proposée
par Dion tient en quelques mots : il s'agissait d'amender, là où cela
s'avérait utile, les terres gâtées par l'excès d'humidité :
"Le but
principalement poursuivi fut de faire gagner la prairie sur le marécage et la
terre arable sur la prairie"
(Dion, 1961 : 214). La construction de ces levées
ne fut donc liée, selon Dion, ni à la sécurité des riverains ni à la
chenalisation du lit mineur pour le bénéfice de la batellerie. On se trouve
devant l'exemple de ce qu'aurait pu être l'endiguement du Val tout entier
s'il n'avait pas servi ailleurs d'autres intérêts que ceux des paysans
riverains du fleuve. Aussi bien l'organe essentiel de chaque enceinte de
digues est-il ici
"le canal muni de vannes qui rassemble, pour les conduire
aussi loin que possible vers l'aval, des eaux qui se partageaient autrefois
entre plusieurs lits et plusieurs embouchures"
. Et Dion de comparer l'état
de
la vallée de Saint-Julien-de-Concelles, le val de la Divatte des
ingénieurs, entre 1851 et 1910 : en 1851 c'est un espace entièrement occupé
par des prairies et des eaux croupissantes dans la dépression latérale, et
cinquante ans après ce sont des eaux disciplinées portées à la Loire par un
canal et des prairies remplacées par des terres labourées.
Ces levées ont donc joué leur rôle dans les paysages du Val entre
Bouchemaine et les portes de Nantes. D'une façon générale, les auteurs
distinguent trois séquences majeures, largement déterminées par la pente
des coteaux riverains :
1ère séquence : De Bouchemaine à La Possonnière, rive droite, et de Denée
à Chalonnes,
rive gauche, les coteaux raides voire abrupts donnent sur une
vallée qui n'excède guère les deux kilomètres de largeur.
2ème séquence : De la Possonnière à Ancenis, rive gauche, la pente des
coteaux est très faible, et
de Chalonnes à Drain, rive gauche, elle est parfois
plus accentuée mais n'a ni le caractère abrupt ni la raideur des précédents
et des suivants. C'est là, à l'abri des levées, que s'est developpée la
polyculture - et la populiculture de la vallée.
3ème séquence : D'ancenis à Nantes, rive droite, et de Champtoceaux à la
Varenne, puis à Basse-Goulaine,
on retrouve les mêmes coteaux abrupts
ou raides que sur la première séquence, dominant une vallée parfois
étroite d'un kilomètre à peine - ce qui ne s'était pas vu depuis la Haute
Vallée - mais aussi occupée rive gauche par un grand bocage, entre
Champtoceaux et la Varenne puis par le paysage maraîcher rendu possible
par la Divatte (Cavalié, 1973).
1.2. D'autres îles, d'autres rivages
Si le Val de Touraine est le val des confluences, le Val armoricain pourrait
être le Val des îles. Elles ont attiré l'attention de nombreux observateurs
qui parlent de
labyrinthes, de dédales, d'archipels, toutes métaphores qui
évoquent l'insularité, et les rivages marins : les marées océaniques se font
désormais sentir jusqu'à une quinzaine de kilomètres en amont de
Nantes.
Ces îles avaient quelque chose de méridional, voire d'exotique, si l'on en
croit Ardouin-Dumazet qui y voyait, au début du siècle,
"un rythme
singulier : chaque groupe d'îles, chaque archipel plutôt, est suivi d'un
chenal unique, large et tranquille. Il y a peu de grandes îles isolées, elles
sont toujours groupées, séparées par de petits chenaux bordés de saules.
Toutes ces îles sont des merveilles de culture : le sol y est entièrement
remué à la houe ou à la bêche ; il est rare de voir un cheval et une charrue.
Toutes semblent des bouquets de verdure surgissant des flots. On dirait
autant de jardins anglais. Les saules et les osiers du rivage ont été repliés
en arceaux et forment ainsi comme la bordure d'immenses corbeilles. Les
maisons sont entourées de bosquets de peupliers et de saules, des rosiers
du Bengale en couvrent la façade, des pots de giroflées, d'oeillets et de
linaires sont placés sur l'appui des fenêtres. Rien de gai comme ces
archipels pendant une belle matinée de mai. En hiver, quand la terre est
dépouillée, quand la Loire roule ses eaux jaunes, ce doit être lugubre".
(Joanne, 1888 : 2243)
L'aspect méridional, voire exotique, de ces îles a été relevé, récemment
encore, dans certaines études consacrées à la vallée :
"L'Italie est là, avec ses
maisons basses aux toits rouges, entourées de jardins plantés de Cyprès de
Florence et autres essences du Sud..." (Briand, 1994 : 19)
. Mais le tableau
n'est pas toujours aussi riant. On verra plus loin, au titre de la lisibilité de
ces paysages, que la populiculture a affecté, sinon dénaturé un grand
nombre d'îles, entre Ingrandes et Ancenis.
Quant à la notation du caractère lugubre du fleuve en hiver, elle mérite
d'être ici relevée et même complétée par l'impression de vide et de
désolation que donnent ses sables en été, l'autre extrême saison. Il est vrai
que les représentations du fleuve privilégient toujours la belle saison et
nous n'avons pas échappé à la règle. Mais n'est-il pas vrai aussi que ceux
qui fréquentent la Loire à la mauvaise saison ne sont pas légion et qu'eux
savent lire dans ces métamorphoses saisonnières si brutales le génie même
du fleuve qu'ils aiment assez pour le fréquenter? Quant aux sables de
l'étiage, en été, on verra plus loin qu'ils sont à l'origine d'un nouvel
archétype de paysage, considéré par certains comme très poétique, lecture
qui coexiste aujourd'hui mieux qu'hier avec le modèle de lecture
naturaliste de sa flore et de sa faune, et surtout son avifaune.
1. 3. Les abrupts de l'Anjou Noir.
Aux rivages de ces îles il faut en joindre d'autres : les falaises granitiques et
schisteuses qui contribuent aussi à l'originalité et à l'étrangeté du fleuve dans sa traversée
armoricaine, notamment de Bouchemaine à la Possonnière et d'Ancenis à
Nantes.
Ces falaises, dont la sévérité est adoucie par une végétation souvent
monumentale qui, selon le mot de Julien Gracq,
accrochent les lumières
du jour,
présentent un pittoresque très particulier, qui tranche du tout au
tout avec le tuffeau de l'Anjou Blanc. Julien Gracq précisément en donne
une description qui vaut toujours pour lui depuis qu'enfant il prenait le
chemin de fer entre Saint-Florent et Angers :
"Ce qui me plaisait - ce qui me plaît encore dans ce trajet quand je le fais de
jour - c'était la traîne de banlieue résidentielle, allongée contre le bord de la
Loire, qui annonce l'approche de la ville trois stations à l'avance, de la
Possonnière à Behuard, et de Behuard à Bouchemaine. Il y a là,
disséminées entre les coulées tapissées de vignes, les sentiers de chèvre qui
grimpent les abrupts du versant parmi les pans de murs en ruine, les
chicots d'ardoise et de schiste, les broussailles rôties de l'été, tout un
échantillonage de maisons de campagne qui va du kiosque turco-hindou
au faux Trianon, et qui transporte sur les coteaux de Loire le style
architectural mi-baroque, mi-onirique, des plages de la Belle Epoque.
J'aime encore aujourd'hui voir défiler au long de la voie - leurs tourelles
et leurs échauguettes accrochant le soleil jaune et déjà presque horizontal
d'une journée d'été - cette frange discontinue de folies qui semble faire
chatoyer au fil du fleuve la traîne d'une cité non seulement considérable
mais encore riche de fantaisie..." (Gracq, 1985 : 12)
On aura noté la référence aux folies, ces constructions si caractéristiques des
parcs apparus chez nous à la fin du XVIII° et qui connurent par la suite un
tel succès. L'exotisme "à l'anglaise" y était de rigueur, et trouva ici, sur une
terre que Nantes approvisionnait de ses découvertes botaniques d'au-delà
des mers, une très belle expression.
Les Folies Siffet, sur les abrupts qui
séparent Oudon du Cellier, au droit de l'Ile perdue (voir p. 156) en
demeurent l'exemple le plus monumental et sans doute le plus séduisant,
surtout quand on les découvre à partir d'une navigation sur le fleuve.

2. Nantes, "la plus grande et la plus belle ville de la vallée"
La formule est de Paul Joanne, qui poursuit : "Devant cette cité superbe que
la mauvaise tenue de la Loire maritime a seule empêchée de devenir un
des grands ports de l'univers, elle se divise en six bras, traversés par six
ponts et elle absorbe à droite l'Erdre, à gauche la Sèvre Nantaise : l'Erdre,
célèbre par ses "plaines", qui sont des lacs dans des épanouissements d'un
ancien fjord (...) la Sèvre Nantaise, issue des Bocages et Gâtines de Vendée,
de Poitou, pays de roches non perméables sans grandes fontaines..."
(Joanne, 1888 : 2243)
S'agissant de la Nantes moderne, c'est au Julien Gracq de La forme d'une
ville
qu'il faut revenir pour en apprécier les paysages. La ville est un
immense carrefour entre les quatre points cardinaux. Ce carrefour offre un
premier contraste, celui qui s'établit entre la Bretagne au nord et la Vendée
au sud :
"Toute promenade vers le sud de Nantes est doublement une marche vers
le soleil. Il n'y a aucune ressemblance entre les froids bocages, la verdure
sombre, les toits d'ardoise, les villages sans vie, la ruralité pesante et
massive des campagnes qui murent la ville du côté du nord, et les coteaux
à vignes du pays Nantais que le beau nom rabelaisien du village de La Haie
Fouassière semble baptiser - les levées ensoleillées du sud de la Loire, leurs
grèves, leurs guinguettes à beurre blanc et à grenouilles - les beaux
ombrages de la Sèvre, l'élégance toscane de Clisson. (Gracq, 1985 :
58)
Gracq, écrivain tout en nuances et en subtilités au long des 200 pages qu'il
consacre à cette ville qui le passionne, se fait parfois tranchant. Tel est déjà
le cas dans ce premier contraste nord-sud. Mais que dire de l'autre, celui
qui oppose la Nantes "d'avant" à la Nantes "d'après" et s'établit surtout
entre l'est et l'ouest, le long de la Loire? Nantes en effet, comme beaucoup
d'autres villes de France, fut entièrement remodelée après la dernière
guerre, mais connut surtout une mutation plus décisive encore, celle du
comblement des bras de Loire entre ses îles et de l'Erdre en son plein centre
- comblements qui, pour Gracq,
"changeaient pour jamais son équilibre et
son assise" (Gracq, 1985 : 8).
Cela dit, Gracq va encore plus loin, expliquant que la ville, qui n'est ni
réellement bretonne ni vraiment vendéenne, "n'est même pas ligérienne"
(p. 194)
. Elle s'est développée en marge de son arrière-pays et de ses
campagnes, parfois même contre elles. L'auteur s'étend longuement sur
les oppositions naturelles très accusées qui s'établissent entre le nord et le
sud, on l'a vu, mais aussi, de façon peut-être plus surprenante, entre l'est
et l'ouest de la ville, entre l'aval et l'amont du fleuve :
"Vers l'aval, Nantes essaime par grappes, le long de son estuaire, une
partie de sa substance usinière en agrégats qui prolifèrent anarchiquement :
une nébuleuse industrielle peu condensée, où la campagne trouve encore
à s'insérer largement dans les intervalles. De part et d'autre de la ville, la
Loire des raffineries de pétrole et la Loire des pêcheurs d'anguilles se
tournent le dos et s'ignorent... La Loire n'a pas vraiment d'embouchure :
rien qu'un fjord baltique plat et envasé, que les ponts et les comblements
de Nantes verrouillent vers l'amont, et que l'industrie colonise avec
circonspection..." (Gracq, 1985 :187)
Ces contrastes si accusés permettent sans doute de comprendre pourquoi,
toujours selon Gracq, Nantes, qui est incontestablement une grande ville,
s'est faite et développée par elle-même et pour elle-même, donnant par là
l'impression
"de nourrir une vie autonomme, purement citadine, dont le
pressentiment fait naître chez le visiteur l'envie, plutôt que de la visiter,
de s'y immerger, de participer au secret insaisissable de sa singularité" (p.
116).
Et effectivement, l'essentiel des paysages décrits par Gracq dans la Forme
d'une ville
sont des paysages typiquement urbains, dans lesquels les rues
sont le motif principal et quasi unique. C'est l'animation qui y règne qui
en fait tout l'attrait. C'est leur rumeur, sur laquelle l'auteur revient
constamment, qui en fait l'intérêt - dont on s'imprègne
"comme on
s'imprègne d'un paysage sans le moindre souci d'en ranger les éléments
par ordre d'excellence" (p. 108)
Tous paysages qu'on ne retrouve pas le long des bords du fleuve.
II. LES CARACTÈRES DES PAYSAGES DE LA LOIRE ARMORICAINE
1. Le caractère très poétique de la Loire : un nouvel archétype ligérien.
Sous le titre "L'archétype ligérien", on doit à Caroline Briand une étude
des représentations des paysages ligériens, entre les Ponts-de-Cé et la
Varenne, dans un ensemble de cartes postales et de textes littéraires du
siècle qui s'achève. Cette approche, pour sommaire qu'elle s'annonce ellemême
(Briand, 1994 : 23), reste la seule, avec celles de Sophie Bonin (1996)
et de Philippe Lasne (1994) concernant les représentations littéraires, qui
présente un caractère un peu systématique, à notre connaissance, sur le
cours de Loire. Son importance n'est pas à démontrer dans la mesure où
les paysages s'analysent toujours comme des représentations, ainsi que
l'ont bien montré des auteurs tels qu'Augustin Berque. Les cartes postales
font le tour du monde, peut-être davantage que les autres représentations,
littéraires ou picturales, et ont contribué à l'édification du mythe ligérien
et de sa fécondité, faisant de la Loire une des premières destinations
touristiques de la planète.
L'essentiel de la définition de l'archétype, telle qu'elle ressort de l'étude de
Briand, tient à ce qu'il est
une représentation par et pour la société dans
laquelle elle apparaît.
L'archétype est donc révélateur des valeurs et des
phénomènes de mode de la société. Il est donc
"par définition évolutif" (p.
23). Certaines époques ont en effet littéralement "inventé" des paysages
ignorés ou méconnus jusqu'alors : l'invention de la montagne, et
notamment du Mont-Blanc (Joutard, 1986) en sont des exemples fameux,
celle des rivages marins (Corbin, 1988) et celle des marais, beaucoup plus
récente, sont tout aussi intéressants et révélateurs de notre société.
Une des questions qui se posent serait donc de savoir si notre époque a
inventé un ou plusieurs nouveaux archétypes de paysages ligériens. Il
ressort en effet de l'enquête de Briand qu'au moins un archétype nouveau
de paysage ligérien apparaît aujourd'hui.
Faisant l'inventaire des représentations des paysages de la Haute Loire, de
la Moyenne et de la Basse Loire, Briand commence par noter les différences
qui les séparent mais conclut que
"malgré ces disparités, l'on a tendance à
retenir artificiellement une image unique du fleuve. Le plus souvent le
nom de Loire évoque en réalité la Loire Moyenne, la blondeur des bancs de
sable, le faste des châteaux de la Renaissance qui la jalonnent et le prestige
des cépages associés à ses coteaux, enfin la douceur de vivre, douceur du
climat qui permit l'établissement du "Jardin de la France" et surtout
confère à la vallée sa lumière si particulière louée par tant d'artistes." (p.
24)
Et de poursuivre : "La Basse Loire paraît donc échapper à une part des
grands clichés ligériens. Néanmoins (...) la lumière y est aussi réelle qu'en
Loire Moyenne, les bancs de sable de l'été troublent de la même manière le
promeneur, et la vigne est aussi importante. Par ailleurs, la zone est
marquée insidieusement d'une empreinte médiévale, dont les vestiges des
places fortes moyenâgeuses sont les instruments. Comme si la Loire
vieillissante se remémorait le cours de sa vie, synthèse finale, ultime
souvenir qu'elle emporterait dans son inéluctable et tragique noyade." (p.
25)
La Basse Loire relèverait donc elle aussi, mais à sa manière, de l'archétype
ligérien, que l'on pourrait dire mythique, celui des modèles élaborés par la
Renaissance à l'époque même où le paysage a été inventé dans notre pays,
et qui motive aujourd'hui la proposition d'inscription au patrimoine
mondial de l'UNESCO. Mais il y a plus. Si en effet l'enquête montre bien
la place que tient cet archétype courant dans la collection de cartes postales
considérée, elle montre aussi que la grande majorité des cartes postales du
début du siècle nous racontait une Loire fourmillante de vie, celle des
pêcheurs, des passeurs, des familles devant la ferme, des promeneurs et
même des vacanciers. Or cette Loire-là n'existe plus. Il lui a succédé une
Loire silencieuse et la plupart du temps déserte. Et ce n'est pas un des
moindres étonnements de Julien Gracq, revenant à Saint-Florent-le-Vieil
qu'il a connu dans son enfance, de constater l'étrange calme qui a succédé à
l'ancienne animation du fleuve. Ainsi, à la Loire trépidante de vie a
succédé un archétype nouveau, qui émerge de la collection des
représentations récentes.
Cet archétype, qualifié de très poétique, "met l'accent sur le fleuve et même
le fleuve solitaire. Les cartes retranscrivent la magie de la lumière
ligérienne, et la beauté du fleuve, et le prestige des sites qui le jalonnent.
Les crues ne sont plus un sujet de curiosité mais une féérie : de
l'immensité fluviale émergent des houppiers. De la même manière, le
fleuve en glace est affirmé comme beau. Les écrits contemporains
s'accordent le plus souvent avec cette vision poétique, souvent modulée
par la conscience des risques liés aux débordements du fleuve. Les
organismes touristiques utilisent aussi cette image, ils vantent le calme, la
sérénité de ce pays et son envergure culturelle." (Briand, 1994 : 29)
C'est donc la beauté du fleuve dans son immensité et dans la féérie des
météores, au gré des saisons, qui est célébrée pour elle-même à travers ces
représentations nouvelles. Comment mieux confirmer la formule que
nous avons déjà citée à propos de ce fleuve,
"par essence de nature
poétique" (BETURE, 1990 : 58)?
Cet archétype est-il pour antant nouveau?
Nous le pensons d'autant plus volontiers que Briand en développe le
contenu dans la première partie de son étude, intitulée "Carnet de routes",
à propos du spectacle du fleuve proposé par les levées (pp. 17-18). Ces
quelques lignes empreintes d'une émotion communicative révèlent en
effet le secret de cette poésie superlative, si l'on peut ainsi parler :
l'expérience du désert. Cette expérience mérite d'être relatée pour elle-même
:
"Nous avons dit que la levée était une situation privilégiée de contact avec
le fleuve, l'on pourrait même dire d'observation ; de fait, au cours de ces
cinq mois (d'étude, ndlr) une réelle surveillance s'est installée,
imperceptiblement, et elle fut largement contentée, même sur cette
période trop brève ne couvrant pas l'hiver. Le stimulus de cette
surveillance fut l'apparition du premier banc de sable qui déclencha
inconsciemment cette observation rigoureuse du fleuve. Au fur et à
mesure de la disparition régulière de l'eau, le fleuve se met à nu, nous
livre ses secrets. Les épis, les digues, les duits apparaissent, témoins d'une
activité humaine secrète ; des gués émergent qui racontent la double vie
des hommes de la vallée : l'une, l'hiver, où tout déplacement n'est
possible qu'en barque : la plate ; l'autre l'été, où des îles deviennent
accessibles.
L'étape ultime de la disparition du fleuve est l'assèchement total d'un
bras, d'une boire. Le paysage est alors apocalyptique, lunaire, déroutant.
Tous les indices sont là qui témoignent de l'existence d'un fleuve qui
semble s'être volatilisé. Les berges, les ponts, qui n'ont de raison d'être que
l'eau, apparaissent comme des non-sens, des anomalies ; un sentiment de
vide, de désolation, l'obsession d'une absence nous envahit
inévitablement. Le modelé bosselé, chaotique, du lit asséché, la blondeur
du sable et la grande clarté du soleil estival accentuent encore l'impression
de désert... Mais bientôt, tout cela devient compréhensible, les éléments
sont tous présents, il suffit de les rebaptiser : le sable est le fleuve, les
microcollines colonisées par une végétation exotique sont les îles ; alors,
berges et ponts retrouvent tout leur sens, ils fonctionnent de nouveau.
Ainsi avons-nous assisté à la naissance et à l'accomplissement du plus
grand jardin Zen." (pp. 17-18)
Le fleuve déserté par la batellerie et par une grande partie des riverains qui
y travaillaient autrefois est ainsi devenu un lieu initiatique, à l'image du
jardin Zen dont les sables, qui forment la structure profonde attirent quasi
irrésistiblement une sensibilité contemporaine. Il semble bien qu'il y a là
une interprétation et une représentation, en un mot un archétype,
véritablement nouveau, très sensible non seulement à partir de la levée
mais aussi à partir du fleuve lui-même lorsqu'on le navigue. On sait
d'ailleurs que
le désert comme paysage fait actuellement, pour la première
fois à notre connaissance, l'objet d'une étude approfondie annoncée par
Alain Roger, auteur de nombreux ouvrages qui, depuis une vingtaine
d'années, ont contribué au renouvellement de la question du paysage en
France.
2. Le caractère des paysages de Nantes.
On pourrait craindre que la sévérité de Gracq envers une ville qui s'est
"séparée" de son fleuve s'étende à l'ensemble de ses paysages urbains. Il
n'en est rien. La ville conserve pour lui un charme qui imprègne toutes
ses allées et venues dans les innombrables rues et boulevards qui la
quadrillent. C'est au point qu'il se pose lui-même la question de l'origine,
du secret de ce charme :
"D'où vient que cette ville qui n'est pas immense, constituée aux trois-quarts
d'immeubles de sous-préfecture, ingrate pour le regard, dénaturée
dans son assise primitive sur la Loire par des comblements artificiels,
"métropole régionale" restée sans mouvance sûre, au débouché d'un
fleuve qui s'obstrue, donne si fortement le sentiment d'une "grande
ville"...? Peut-être de ce qu'elle est, plus impérieusement qu'une autre,
centrée sur elle-même, moins dépendante de ses racines terriennes et
fluviales - peut-être de l'impression qu'elle donne par là de nourrir une
vie autonome, purement citadine, dont le pressentiment fait naître chez le
visiteur l'envie, plutôt que de la visiter, de s'y immerger, de participer au
secret insaisissable de sa singularité. Curieusement - et toutes proportions
gardées - je songe parfois, en revisitant Nantes, à une ville dont rien ne la
rapproche, sinon le même et superbe négligé monumental, et qui est
Madrid. Dans les petits bars ombreux, les petites rues étroites aux façades
hautes qui voisinent avec la rue Crébillon, je retrouve en été le même
sentiment d'encavement frais et protégé que me donne le canyon des
ruelles latérales à la Gran Via madrilène : le sentiment qu'une vie
autochtone, qui a ses coutumes et ses rites à elle, malaisée à pénétrer de
l'extérieur et presque entièrement close sur elle-même, peut se perpétuer
ici comme dans un réseau de grottes, et trouver son aliment en elle-même
du matin au soir et du soir au matin. Et cette teinte, cette coloration
attirante et unique qu'y prend le va-et-vient de tous les jours, produit
d'une distillation longue et subtile à laquelle toute sa géographie, toute son
histoire ont dû collaborer, mais qui n'aurait pu aboutir sans quelque
transmutation alchimique dont elle garde pour elle la formule, c'est peut-être
la vraie séduction, la couronne secrète d'une ville." (Gracq, 1985 : 116)
"Non pas la visiter, mais s'y immerger" : telle est en somme, selon Gracq,
la distinction à prendre en compte en matière de paysage urbain - non pas
Nantes seulement mais toute vraie "grande ville".
III. LA LISIBILITÉ DES PAYSAGES DE LA LOIRE ARMORICAINE
1. Le Val en amont de Nantes
La lisibilité du Val est très dépendante des séquences parcourues, des
itinéraires empruntés par le visiteur et des modèles qui s'y présentent.
1.1. Les routes, belvédères initiatiques sur le paysage
Les trois séquences sont longées par des routes qui ont toutes leur intérêt
pour la lecture des paysages traversés. Elles ont fait l'objet, de la part de
Caroline Briand, d'une description et d'une évaluation très significative
leur importance dans la perception des paysages et, par voie de
conséquence, de la nécessité d'une coordination paysagère dans tous
travaux de transformation qui viendraient les affecter : recalibrages,
rectification de profils en long et en travers, contextualisation des
plantations d'accompagnement, etc... Le rôle des routes dans la perception
des paysages est tel qu'on peut en faire de véritables belvédères linéaires, à
condition de le vouloir :
la Corniche angevine en est un éclatant exemple.
Il faut même aller plus loin et parler, à leur propos, non seulement
d'observation mais d'initiation au paysage.
Toutes les routes, tous les
chemins, et jusqu'au moindre sentier, ont un caractère initiatique.
Ce sont
eux qui laissent entrevoir, apercevoir, observer, épier, contempler,
admirer, ou, à l'inverse, refuser de voir et fuir des spectacles rebutants ou
simplement inintéressants. A partir de là, Briand distingue les parcours
suivants, offrant chacun un type de lecture qu'il conviendra de protéger,
voire de favoriser, sur les paysages environnants.
A partir de l'A 11, le paysage est entrevu. Il faut prendre cette opportunité
de la façon la plus positive, car les 'flashes', même brefs, sur certains
paysages, par exemple le plateau maugeois et son bocage bien ordonnancé,
ou sur certains motifs monumentaux comme les églises de Saint-Florentle-
Vieil et de Montjean, peuvent être de puissantes motivations à quitter
l'auroroute pour en découvrir davantage (Briand, 1994 : 14). La politique
du 1% Paysage et développement mise en place par la Direction des Routes
sur les grandes infrastructures nationales partent de ce principe, mis au
service des collectivités traversées.
A partir de la Nationale 23, le paysage est aperçu. Cette route, qui traverse
encore un certain nombre d'agglomérations, est plus proche de la rupture
de pente du coteau et on la parcourt à moins vive allure. Elle permet de
percevoir des motifs moins monumentaux que ceux qui sont perçus à
partir de l'autoroute mais qui leur font cortège : petits bourgs et villages,
châteaux, moulins qui témoigent encore de la prospérité céréalière,
accidents du relief qui suggèrent la plongée vers la vallée, etc... Le pays se
fait plus proche, son image plus précise, les panneaux d'animation vantant
ses beautés et curiosités plus nombreux, l'attrait plus fort.
A partir des routes panoramiques, surtout la Départementale 751 et sa
Corniche angevine, le paysage est admiré.
"Les routes panoramiques sont
en fait des routes échappées de la vallée, qui se sont lancées à l'assaut du
coteau. Sinueuses, c'est leur artifice pour réussir l'effort entrepris, elles
sont totalement inféodées au relief. Les châtaigniers et les chênes les
dissimulent et les enserrent. Cette voie végétale est loin d'être
imperméable, elle laisse passer l'oeil vers la vallée ; l'hiver, ces vues sont
encore plus aisées" (Briand, 1994 :16)
A la pénombre de la montée succède
la lumière du plateau : le contraste invite à l'arrêt. Les points de vue sur la
vallée sont les seuls à partir desquels il est possible de l'appréhender dans
sa globalité. La Corniche angevine, située à flanc de coteau appartient à ces
routes, et ménage sur les paysages de la première séquence des points de
vue considérés comme uniques.
A partir des levées, le paysage est espionné. Le mot est fort, un peu étrange.
Il nous paraît cependant approprié dans la mesure où il suggère que la
levée serait un rempart à partir duquel il est possible d'épier, d'observer et
de surveiller les alentours. On reconnaît ici un comportement
typiquement ligérien : la surveillance du fleuve, l'affût du gibier de terre,
d'air ou d'eau, l'observation des phénomènes naturels et notamment des
météores, voire l'attention aux aléas de la navigation... Les levées sont des
belvédères linéaires incomparables lorsque leurs abords ne sont pas
envahis d'une végétation banale non contrôlée. C'est à partir d'elles que
l'appel de la Loire se fait le plus vivement sentir... invitation à prendre les
chemins qui y mènent.
1.2. Les chemins et les rues, lieux privilégiés de l'expérience paysagère
Les routes desservent les villes, les bourgs et les villages. A partir d'eux,
seuls les chemins conduisent au coeur des paysages. Ils y occupent une
place à part, qui met un point d'orgue au réseau des routes, surtout quand
ils conduisent au fleuve.
A partir des chemins le paysage est ressenti. "Une promenade pédestre en
vallée de Loire peut être des plus variées : suivre une levée, jouer les
équilibristes sur les épis, s'aventurer prudemment sur les bancs de sables,
ou au contraire se perdre au plus profond de la solitude prairiale. Dans
tous les cas, ce qui est important est la disparition de toute enveloppe plus
ou moins hermétique. Les sons, les odeurs, le souffle sont maintenant
réellement ressentis. Aucune berrière physique ne s'oppose à notre
invasion par le paysage. Le temps même, celui de la flânerie, permet cette
communion". (Briand, 1994 : 21)
Il est difficile de mieux dire la valeur irremplaçable des chemins dans
l'expérience du paysage
"ressenti". Les chemins sont, on ne le dira jamais
assez, les lieux privilégiés d'expérience de ce que peut être
le mode sensible
de notre relation à l'espace et à la nature,
ce qui est tout simplement la
définition du paysage pour Augustin Berque (Berque, 1986 : 166). Les cinq
sens y sont en effet constamment sollicités, comme le suggère et le décrit
Briand, incitations permanentes à enrichir la perception visuelle du
paysage en y pénétrant, en y goûtant les alternances d'ombre et de lumière,
de fraîcheur et de chaleur, de sécheresse et d'humidité, en y écoutant le
silence, toujours habité, en en respirant les souffles, parfois discrets, parfois
puissants et ennivrants.
Ce sont les chemins par excellence qui nous font saisir ce que peut être la
palette de nos émotions et motivations paysagères. Ce sont eux qui nous
font réaliser qu'il ne peut être question, en effet, de limiter la notion du
beau à notre émotivité visuelle, mais qu'il importe de la rechercher dans
toute l'épaisseur des perceptions qui assurent notre insertion dans notre
société et notre culture.
On notera, dans la même logique paysagère, l'importance et l'intérêt des
paysages de rues que décrit inlassablement Julien Gracq dans sa description
de Nantes. La puissance évocatrice de ces descriptions n'a pas d'égal. Nous
ne donnerons qu'un exemple, trop bref, des longues promenades de celui
qui reste un des plus grands initiateurs contemporains à l'expérience
paysagère :
"C'était, presque à chaque croisement de rue, le souffle d'un courant d'air
frais et léger, un clin d'oeil ancien que m'adressait l'une après l'autre les
perspectives latérales soudain rouvertes, pareilles à autant de passants
sortis de leurs maisons endormies et accourues à chaque carrefour pour
me faire cortège. Toutes! elles étaient toutes là! longuement oubliées et
resurgies intactes, gravées l'une après l'autre dans la mémoire par le coin
de rétine inoccupée, oblique, qui se laisse impressionner passivement
comme une pellicule vierge à chaque échappée de rue ouverte au long de
notre promenade familière. La rue de Bouillé... La rue Noire... Le pli creux
du boulevard de Lasseur. Le rond-point de Rennes, fêté autrefois
modestement par une pharmacie aux globes verts et roses..." (Gracq, 1995 :
51)
1. 3. Les modèles du bocage et de la populiculture
En Loire armoricaine, le modèle du bocage conserve sa valeur. Bruel-
Delmar (1996 : 105) situent les bocages de la Loire Atlantique par rapport
aux bocages breton et vendéen et localisent celui d'Ancenis sur le plateau,
sans mentionner celui qui relie
Saint-Florent-le Vieil à Champtoceaux sur
la rive gauche du fleuve. Ce dernier est clairement cartographié par Briand
comme le plus important de la vallée par sa surface et sa continuité d'un
seul tenant (Briand : 1994). Le bocage est par ailleurs présent à titre
fragmentaire entre
Ingrandes et Anetz d'un côté et Saint-Germain de
l'autre.
Il est enfin omniprésent dans les études paysagères sous la forme
du
motif toujours recherché et fréquemment perdu ou mal géré du
maillage des haies et des chemins.
Le motif de la haie bocagère est l'un des plus symboliques de nos paysages,
de même que celui de l'arbre tout court.
On a vu qu'il constitue très
souvent, en Loire, une des pierres de touche de leur qualité. Il ne suffit pas
d'annoncer que le remembrement
"entre dans le cadre de la
modernisation agricole qui est un phénomène économique et global"
(Hode, 1995 : 78)
pour justifier les opérations d'arrasement de haies
inconsidérées, dans la mesure où l'on sait à quels excès, souvent dus à un
déficit d'attention à d'autres modèles de spatialité et de naturalité, ont
conduit de telles opérations. Beaucoup d'agriculteurs (sinon tous) sont
conscients des excès des remembrements, notamment de l'arrachage des
haies et des arbres :
"Au lieu d'élaguer, on arrachaitl'arbre ; aujourd'hui,
on coupe les branches gênant le passage des machines (un agriculteur, 50
ans, Rochefort)" (Hode, 1995 : 78)
Cet attachement aux paysages de bocage, phénomène encore sensible à
l'échelle du territoire national, explique pour une part le malaise qu'induit
le modèle qui tend parfois à le supplanter : celui de la populiculture. C'est
un fait que ce modèle devient envahissant. Dans la Loire armoricaine,
les
peupleraies prennent parfois des proportions telles qu'elles défigurent et
dénaturent les motifs auxquels elles sont associées.
Un exemple particulièrement frappant en est donné par celles qui
occupent les îles
Meslet, de Gâche, du Buzet, Batailleuse, Maquart, Briand,
Boire Rousse, Kerguélen (!) et aux Moines (!).
Il y a dans cette
concentration sur un linéaire d'une vingtaine de kilomètres,
entre
Ingrandes et Ancenis,
quelque chose d'excessif, d'anormal et même
d'injuste si l'on peut se permettre un tel jugement. D'une part en effet
les
peupleraies écrasent les îles de leur masse,
et ce d'autant plus que ces îles
sont de taille réduite ; d'autre part
elles les dénaturent en tant qu'îles, c'està-
dire en tant que motifs culturellement tellement prisés et valorisés dans
notre imaginaire, surtout s'agissant des îles de la Loire, et qui méritent
bien autre chose, on l'a vu plus haut avec les descriptions d'Ardouin-
Dumazet ; enfin
elles apparaissent comme une injustice dans la mesure où
aucune de ces îles n'y échappe et où, ailleurs dans la vallée, elles se
localisent plutôt dans la dépression latérale, au pied des coteaux, ce qui en
amoindrit quand même la masse et l'impact relativement à ce qui se passe
en plein milieu du fleuve.
IV. LA PROTECTION ET LA MISE EN VALEUR DE LA LOIRE
ARMORICAINE
La protection et la mise en valeur de la Loire armoricaine passe par
l'ensemble des recommandations formulées au document des Agences
d'Urbanisme d'Orléans, Tours, Angers et Nantes le 26 janvier 1995 dans le
cadre de leurs rencontres sur
"Paysages et aménagement des abords de la
Loire"
(AUAT, 1994-95).
L'Agence nantaise y présente, quant à elle un
Schéma Directeur des
continuités piétonnes et vélo de l'agglomération
qui se présente comme le
projet le plus élaboré et opérationnel des grandes villes de Loire et qui
illustre, s'il en est besoin, l'importance de telles continuités dans
l'expérience paysagère.
1. Le Schéma Directeur des continuités piétonnes et vélo de
l'agglomération nantaise
Nous en reproduisons les principaux éléments à partir du compte rendu
des rencontres ci-dessus mentionnées :
Il s'étend sur l'ensemble de l'agglomération, englobant non seulement les
rives de la Loire mais aussi celles de ses affluents.
Le dossier présente un ensemble d'opérations, programmées dans le
temps, chiffrées, pour améliorer l'existant et développer de nouveaux
parcours afin d'obtenir, à terme, un réseau bouclé, continu de voies
réservées pour les piétons et les cyclistes.
...
L'objectif poursuivi à travers l'élaboration de ce dossier est la recherche de
continuités de promenades pour les piétons et les vélos, liées à l'ensemble
des cours d'eau (ruisseaux, rivières, fleuve - plus de 150 kms au total) et
aux grands espaces aquatiques de l'agglomération.
...
Dans la majorité des cas, les continuités de promenades sont situées
directement en rive de cours d'eau, constituant par là-même un élément
de valorisation de l'environnement de ceux-ci. Dans d'autres cas, la
promenade retenue prend ses distances avec l'eau tout en permettant des
points de vue : c'est le cas des promenades des coteaux de la Loire au Sud.
Les éléments constitutifs de ce projet sont les suivants :
- projets approuvés par les communes, chiffrés et programmés : ces projets
rentrent dans la phase opérationnelle du système de cofinancement
institué par le SIMAN dans le cadre de sa compétence en matière de
réalisation et les coûts prévisionnels,
- projets intégrés dans des opérations d'aménagement urbain (ZAC...),
- quelques projets à long terme, dont l'inscription dans le POS constitue un
préalable à la réalisation.
...
Cet ensemble d'opérations, 77 au total, doit permettre la réalisation des
continuités suivantes :
- Rive sud de la Loire : 69 kms, du Canal de la Martinière à l'Ouest aux
abords du Pont de Bellevue à l'est
- La Jaguère : 5,2 kms entre les communes de Bouguenais et de Rezé
- Les rives de la Sèvre Nantaise : 16,1 kms reliant le site de confluence
Sèvre/Maine à Vertou au site de la confluence avec la Loire (Nantes, Rezé)
- La Goulaine : 4,1 kms entre Saint-Sébastien, Basse Gouliane et le marais
de Basse Goulaine
- La rive nord de la Loire : 34,6 kms comprenant une continuité Marais de
Couéron/Plan d'eau de Beaulieu et une continuité Haute-Indre/Basse
Indre
- La continuité de Chézin : 13,6 kms entre Couéron-Sautron
- Le Cens : 16 kms avec la continuité Nantes, Orvault et Sautron.
- Les continuités de l'Erdre : 35,3 kms avec notamment les continuités
Nantes/La Chapelle sur Erdre, et Carquefou/Nantes, à créer
-
Les continuités de Charbonneau : 6,6 kms
- L'Aubinière : 3,5 kms à la limite entre Nantes et Sainte-Luce-sur-Loire
- L'Ognon, le Lac de Grandlieu : 8,2 kms en vue d'en améliorer
l'accessibilité.
(AUAT, 1994-1995 : 51-54).
Quant aux recommandations qui suivent elles sont extraites des études de
Bruel-Delmar (1996), Cavalié (1973?) et Briand (1994), déjà cités.

2. Les bocages du Val
- Préserver et entretenir la maille bocagère en place
- Préserver, entretenir et développer les haies bocagères elles-mêmes,
notamment aux abords des bâtiments agricoles
- Intégrer
le réseau viaire agricole issu des remembrements par des
plantations de haies nouvelles
- Préserver l'identité des bourgs et villages par
le respect de leur silhouette
et de leur organisation spatiale
au sein de la trame viaire et des modèles du
bâti local
- Préserver
les entrées de villes depuis les routes nationales et
départementales en réglementant la localisation et le traitement des sites
d'activités industrielles et commerciales qui s'y développent (article L 111
1-4 du code de l'urbanisme)
- Prévoir des
plantations perpendiculaires aux voies de circulation lorsque
cela s'avère utile à la continuité de la maille bocagère
- Accompagner des routes nationales par des plantations d'alignement en
relation avec les ouvertures majeures du paysage, afin d'y mettre en place
des cadrages tout en monumentalisant la route en fonction de son échelle
propre
3. La Loire
3.1. La Loire amont :
- Respecter l'inconstructibilité de la plaine inondable et maîtriser
l'urbanisation sur les plateaux, en retrait des ruptures de pente des coteaux
-
Maintenir et renforcer les vues sur le fleuve, qui passe souvent inaperçu,
à partir des routes qui la surplombent, qu'elles se trouvent en bordure de
coteau ou sur levée.
- Renforcer les particularités de la vallée inondable
- en encourageant la culture maraîchère traditionnelle,
- Aménager les voies de circulation pour y
favoriser la perception de lu
fleuve,
notamment
- en affirmant les effets de digue par le dégagement des friches qui en
encombrent les abords
- en mettant en valeur le vocabulaire spécifique qui les
accompagnent
- Respecter la palette végétale et sa répartition en distinguant l'expression
de la présence de l'eau par la palette des Saules et des Peupliers le long du
fleuve et sur les bancs sableux. et l'expression des fonds de vallée
affluentes créant des portes vers les plateaux par leurs boisements
spécifiques
- Développer les vues sélectives à partir des points hauts
3. 2. La Loire aval :
- Respecter la zone "non aedificandi"
de la zone inondable qui participe à
la perception de la vallée dans sa largeur
- Mettre en valeur les ouvrages qui accompagnent le fleuve, tels le canal de
la Martinière, les écluses, les digues
- Mettre en valeur et donner à voir par des points d'observation les
pratiques spécifiques de l'estuaire telles que les pêcheries, les complexes
industriels, les infrastructures pétrolières et le port de Saint-Nazaire.
- Renforcer la végétation spécifique de Peupliers, Saules, Aulnes...
- Protéger les secteurs de marais, de l’estuaire jusqu’au lac de Grand-Lieu.
- Encourager les accès au fleuve par la signalétique.
- Permettre un cheminement plus attractif le long de l'estuaire et traiter les
RD 723 et 17, respectivement sur les rives gauche et droite
- Renforcer la perception de la Loire et de son estuaire par le traitement des
voies perpendiculaires à la vallée
qui en donnent la mesure
- Valoriser de la perception des côtes donnant la mesure de la grande
dimension de la vallée entre Savenay et Nantes.
4. L’Atlantique
- Respecter la loi Littoral,
en particulier dans l'alternance entre
l'urbanisation et les côtes désignées comme naturelles
- Poursuivre le mode d'urbanisation “par poches” intégrées dans les
boisements de pins.
- Respecter la palette végétale jouant le rôle de signal à l'approche de la
côte
- Maintenir les ouvertures visuelles à partir de la route bleue, le long du
littoral
- Eviter le développement des équipements industriels et commerciaux
liés à la route bleue et y favoriser les aménagements donnant accès tant
physique que visuel aux paysages traversés
- Mettre en valeur les ouvrages et pratiques spécifiques tels que les ports,
phares, balises, et jusqu'aux complexes industriels portuaires…

INDEX DES COMMUNES
CLASSEES PAR ORDRE D'APPARITION D'AMONT EN AVAL

Bouchemaine
Béhuard
Rochefort-sur-Loire
Denée
Savennières
La Possonière
Chalonnes-sur-Loire
Saint-Georges-sur-Loire
Montjean-sur-Loire
Champtocé-sur-Loire
Saint-Germain-des-Prés
Ingrandes
Le Fresne-sur-Loire
Le Mesnil-en-Vallée
Saint-Laurent-du-Mottay
Montrelais
Saint-Florent-le-Vieil
Varades
Le Marillais
Anetz
Ancenis
Saint-Géréon
Liré
Drain
Oudon
Champtoceaux
La Varenne
Le Cellier
Mauves-sur-Loire
Thouaré-sur-Loire
La Chapelle-Basse-Mer
Saint-Julien-de-Concelles
Basse-Goulaine
Sainte-Luce-sur-Loire
Saint-Sébastien-sur-Loire
Nantes
Reze
Bouguenais
Saint-Herblain
Indre
La Montagne
Saint-Jean-de-Boiseau
Coueron
Brains
Cordemais
Bouée
Cheix-en-Retz
Vue
Frossay
Lavau-sur-Loire
Paimboeuf
Donges
Corsept
Montoir-de-Bretagne
Saint-Nazaire
Saint-Brévin-les-Pins


Source : Alain Mazas, Paysagiste DPLG - Typologie paysagère de la vallée de la Loire - DIREN Centre -1999